
"Le Monde" entier regarde la banlieue.

Depuis mai 2010, le blog Urbains sensibles, diffusé sur lemonde.fr offre une plongée dans le quotidien d'une ville de banlieue. La Courneuve. Tout un symbole.
En finir avec l'image d''Epinal de la banlieue. C'est le rôle d'Urbains sensibles, un blog fondé par Aline Leclerc, journaliste."Avant son lancement, nous avons réfléchi à un endroit sur lequel un imaginaire collectif s'est construit", explique t-elle. La Courneuve fera l'affaire. Pour autant, ce choix ne s'est pas imposé d'emblée. "J'ai cherché dans les archives du journal en remontant jusqu'aux années 60."Ses recherches l'orientent vers Sarcelles, Les Mureaux, Mantes-la Jolie."Sans oublier la province."J'aurais beaucoup aimé écrire depuis les Minguettes", confie t-elle.Comme elle le souligne, 'La Courneuve est presque un substantif." Visiblement, Aline Leclerc a visé juste. Depuis deux ans, la plume de la trentenaire originaire de Fresnes (Hauts-de-Seine) attire entre 10000 et 50000 internautes. Par jour. Avec une pointe inégalée, le lendemain du 1er tour de l'élection présidentielle. 105986 vues, ce jour-là.
La banlieue, un bon filon
La banlieue intéresse, intrigue, voire passionne. A commencer par Aline Leclerc, elle-même. Il faut dire qu'elle connait plutôt bien. "Je faisais partie de l'équipe de Microscopie, une émission diffusée sur rfi jusqu'en 2010." Avec comme objet d'étude, la société française, Aline Leclerc a eu tout le loisir de passer le périphérique. "On s'intéressait justement à toutes les strates de la société française: quartiers populaires, immigration, exclusion…" Une expérience qui lui fera proposer un projet innovant au Monde.fr, média pour lequel elle pige, alors. "Mon idée de départ, c'était de faire un web-documentaire en croisant les portraits d'habitants d'une barre HLM." La proposition séduit. Sauf que l'on lui demande plutôt d'étendre ses portraits à un quartier. Et d'y ajouter des reportages, notamment. "On m'a alors suggérée de tenir un blog histoire de rentabiliser…" Aline Leclerc est alors embauchée en contrat à durée déterminée. elle devra accomplir ses missions au desk et produire du contenu pour son blog. On est en mai 2010. Son rythme de travail va vivre à l'heure de La Courneuve. Elle y passe 2 semaines tous les 2 mois. "Je ne dors pas sur place. Pourquoi faudrait-il habiter sur place dès que l'on traite les quartiers?"
Un blog forcément engagé
Avec une hiérarchie conquise, Aline Leclerc se fixe un objectif journalistique. "Faire exister des figures qui n'existent justement pas dans les médias." Cela tombe bien. La banlieue en regorge. Pendant l'été 2010, la journaliste et sa photographe, Elodie Ratzimbazafy également pigiste au monde.fr, carburent. "Nous étions à temps plein sur le blog." Histoire d'enclencher la machine.
Pendant deux mois, les deux femmes ont fait le tour de la ville. Habitants, associations, commerçants et la mairie. Tous sont informés du blog à venir. Une démarche nécessaire vu l'image des journalistes dans les quartiers, accusés de ne montrer que les problèmes. "Au début, la plupart d'entres eux étaient méfiants voire hostiles. Au fur et à mesure voyant notre intérêt, les relations se sont apaisées. Aujourd'hui, ce sont eux qui viennent nous voir, nous contactent même." Du côté de la rédaction, Aline Leclerc a carte blanche. "Je choisis librement mes sujets. Je suis final cut." En clair, pas de relecture.
Livrer la parole des habitants
La première saison s'interrompt en novembre 2010. Le bilan est positif. Urbains sensibles est reconduit. Avec un enjeu supplémentaire. On est début 2011, à un an d'une échéance électorale clé. Le blog sera intégré dans le traitement de la campagne des élections présidentielles. Une satisfaction pour Aline Leclerc. Son projet est sur les rails. Une reconnaissance pour les habitants des quartiers. Leur avis est médiatisé. Lemonde.fr, c'est plus de 5 millions de lecteurs.
Cette deuxième session s'inscrit dans le sillon de la première. Course à l'Elysée en plus. "Cela a été extrêmement intéressant." Voir les partis politiques en prise avec le terrain. "Le parti socialiste et le Front de Gauche misent beaucoup par exemple sur le porte à porte." Et puis, un blog comme Urbains sensibles offre une proximité avec les habitants inédite pour un média comme Le Monde. "Quand Claude Guéant a parlé des civilisations, on a vu les gens dire qu'ils en avaient marre." Autre anecdote, lors du premier tour de la présidentielle. "Une dame m'a dit, je tiens à mon bulletin de vote. Ma voix compte autant que celle d'une habitante du 16e…" Tout est dit.
Vers une saison 3?
Avec près de 150 articles à ce jour, Urbains sensibles devrait franchir la barre des 3 millions de lecteurs cumulés. Aline Leclerc, en contrat à durée indéterminée au Monde.fr depuis septembre dernier, prévoie pourtant un arrêt de l'aventure. Plusieurs raisons à cela. La première est d'ordre économique. "Le projet est onéreux." Sa présence à La Courneuve suppose l'embauche d'un pigiste". A 95 euros nets la journée, Le monde.fr commence à tirer la langue. La seconde est lié, paradoxalement, au succès du blog.
"On voit la limite du projet. Je commence à connaître beaucoup d'habitants et le manque de recul sur mes papiers est un risque", remarque t-elle. Le blog pourrait rejoindre une autre contrée urbaine. Mais rien n'est encore défini. "L'idée d'un web-documentaire sur la banlieue reste d'actualité…", avoue t-elle. La banlieue, on l'aime et on y reste.
Nadia Moulaï