ZOOM formation : Radio HDR, l’apprentissage par la pratique

Située au cœur du Châtelet, dans les Hauts-de-Rouen, Radio HDR est bien implantée dans ce quartier populaire. Le directeur Moïse Gomis, journaliste de formation, nous reçoit dans son bureau avec vue « grand angle » sur les immeubles du Châtelet. Dans la pièce attenante, Antoine Blin, réalisateur d’émissions pour France Inter et Nova, forme les salariés et bénévoles de la radio sur la place de cette « radio alternative, de complément » dans le paysage audiovisuel français et régional. L’équipe a réussi à obtenir à la fois une légitimité de terrain dans le quartier et la consécration en tant qu’acteur médiatique incontournable de l’agglomération Rouennaise. Une des raisons de ce succès est l’importance donnée à la formation. Et même si à cause d’un retard de ses subventions, la structure n’a pas pu obtenir le statut d’organisme de formation, elle propose une formation dans sa version pratique, proche d’une logique d’éducation populaire.

Un quartier « sensible » mais pas abandonné

Radio Hauts de Rouen tient son nom du secteur surplombant la ville composé des quartiers des Sapins, des Vieux-Sapins, du Châtelet, de la Lombardie, et de la Grand-Mare. Appartenant administrativement à la ville de Rouen, le quartier n’en est pas moins géographiquement isolé du centre ville. Composé à la fois de logements collectifs et pavillonnaires, il présente la plupart des caractéristiques Z.U.S. Pourtant la présence d’une annexe de la mairie, de commerces et d’infrastructures pour les jeunes ne donne pas une impression d’abandon par les autorités. Pour Moïse Gomis, L’Etat et les collectivités y sont effectivement présents :: « A la fin des années 90 le quartier comptait 18000 habitants, aujourd’hui autour de 12000, On y retrouve une bonne partie de la jeunesse de Rouen. Contrairement à ce qui peut être dit, l’Etat et la collectivité y sont présents en terme de formation et d’encadrement des jeunes avec des MJC, des centres sociaux, un club de prévention, les services de la jeunesse et des sports de la mairie, la maison de l’emploi et de la formation… ». Nouveauté depuis 2009, le retour de la « police de proximité » avec une UTEC installée à deux pas de l’entrée de la radio.

HDR, radio formatrice par essence

Dès ses débuts en 1997, la radio, portée par la maison des jeunes du quartier, privilégie la formation avec un projet de radio en milieu scolaire dans les écoles de Rouen situées en ZEP. Intégré dans les projets pédagogiques il sert d’outil de renforcement du français.

En 2000 le projet Reporters Junior utilise l’outil radio pour un travail sur la citoyenneté. « En échange de voyages payés à l’étranger ou sur Paris – pour visiter Beaubourg, ou les égouts de Paris- les participants devaient faire un reportage en contrepartie. Ce n’était pas un fonctionnement scolaire, mais plutôt des techniques pédagogiques d’éducation populaire » explique Moïse Gomis.

A partir de 2003 la radio met en place l’atelier « Pôle media HDR » pour les adultes du quartier. La formation qui va être formalisée en 2004 sous le nom HDR Radio Formation est, forte d’un soutien de la région Haute Normandie, élargie à tous les bénévoles de la structure. « Avant pour le projet Reporters Junior par exemple nous étions financés par la politique de la ville, je voulais en sortir pour être reconnu comme un lieu qui forme les gens (…) En contrepartie du travail de chaque bénévole, qu’il fasse des chroniques, du reportage ou de la réalisation d’émissions, nous avons voulu élever le niveau en organisant des week-ends de formation avec des intervenants de France Inter, RMC ou Nova (…) Chaque bénévole est suivi avec une fiche d’évaluation des aptitudes et des compétences qu’il a acquises. Un permanent est toujours présent pendant les heures d’antennes pour écouter et faire les évaluations. »

En 2005 alors que les quartiers de France s’embrasent «Ca ne bouge pas beaucoup » au Châtelet, mais « ça bouge dans les têtes» et pour garder une crédibilité locale « il faut qu’au moins la moitié de l’équipe soit constituée d’habitants du quartier ». En 2006 des emplois aidés sont créés, financés par la ville de Rouen, accompagnés par des intervenants de France Bleu. En 2007 l’expérience est élargie pour devenir un réel chantier d’insertion socioprofessionnelle. Ne maitrisant pas « les codes technocratiques » l’équipe est formée par une consultante allemande au montage de projets européens. Ce qui va déboucher sur le projet Euro Radioformation qui donne à la radio des moyens significatifs aboutissant à l’embauche de 12 permanents dont 5 formateurs. Un local équipé est même entièrement dédié à la formation. A l’apogée de son fonctionnement la radio va connaître de gros problème de trésorerie, dus à des retards dans le paiement des subventions, et passer à deux doigts de la faillite. Elle finira par surmonter les difficultés rencontrées, mais ne pouvant pas venir à bout du projet, n’obtiendra pas –cette fois-ci- le statut officiel d’organisme de formation.


Un impact éducatif malgré les difficultés financières

Il n’est pas surprenant que la principale difficulté d’un média de quartier soit d’ordre financier. Ce qui l’est plus est que les difficultés arrivent au moment ou la radio dispose du budget le plus important jamais acquis depuis sa création. « Le FSE (Fond Social européen) apporte une aide substantielle, mais de manière décalée. Il faut donc avoir une trésorerie, avancer les frais et donc que les autres financeurs payent à temps. Une partie des financements sert à payer les salariés. Si on ne les paye pas à temps ils se retournent contre nous. Et sans formateurs de qualité il n’y a pas de formation. Nous avons été en cessation de paiement. Nous avons été constamment en retard dans le paiement des charges sociales. Il faut avoir les reins solides », explique le directeur qui a du se démener pour sauver la radio en se basant sur l’impact au niveau local de ce lieu d’apprentissage pratique. « C’est un avantage de disposer d’une fréquence sur la bande FM, explique-t-il. Tu te formes en direct par la pratique. Tout le monde est pris, il n’y a pas de casting ».
Manu Gouache, le directeur d’antenne, ancien de Nova et de France Inter, insiste sur la double formation donnée aux salariés et aux bénévoles « La formation se fait à deux niveaux : elle est d’abord technique pour s’accaparer l’outil radiophonique, puis elle concerne le traitement de l’information avec une initiation pour ceux qui ont des soucis d’écriture, à qui on apprend comment parler d’un sujet (..). La formation traite de plusieurs aspects complémentaires. Dans le projet du moment, HDR radio numérique, les bénévoles apprennent comment être de bons internautes, comment s’y retrouver dans l’enfer numérique, comment se saisir des réseaux sociaux… »
Tufek Hababsa a fait partie de l’aventure HDR dès ses débuts en 98. Féru de sport, il anime depuis l’émission sur le sport local. De 2007 à 2009, il a suspendu son émission pour être « formé aux techniques d’animation, apprendre à animer avec le rythme, gérer un conducteur » mais aussi « s’ouvrir à d’autres horizons en participant à trois quotidiennes généralistes ». Formé par la radio, il s’est retrouvé lui-même en position de formateur –même si pour lui « c’est un grand mot » - en intégrant à deux reprises des stagiaires dans son émission sportive.
 

Une réelle passerelle d’insertion

Le budget formation a représenté à son maximum jusqu’à 80% du budget global de la radio. Plus de 500 stagiaires, bénévoles et salariés ont été formés (scolaires, étudiants, bénévoles, salariés et même de jeunes québécois dans le cadre d’un programme avec l’office franco-québécois de la jeunesse) en 13 ans. Et même si la radio ne peut pas pour l’instant valider sa formation par un diplôme, elle fournit aux jeunes un certificat attestant de leur expérience pratique. Mais elle leur fait surtout bénéficier des nombreux liens qu’elle a tissés avec des médias dits « classiques ».
Ainsi les jeunes formés par Radio HDR se servent dans de nombreux cas de leur passage à HDR comme d’un tremplin pour intégrer d’autres médias ou d’autres formations au journalisme. L’un d’entre eux a obtenu un poste de responsable technique en CDI à France Bleu. Dans le cadre d’un partenariat avec Radio France, plusieurs d’entre eux ont effectué des stages chez RFI, France Culture, France Inter ou Le Mouv’. Certains ont intégré des écoles de journalisme comme le CELSA et l’Institut de journalisme de Bordeaux ou sont devenus pigistes pour France Bleu. Enfin un de ces jeunes à Intégré en CDD l’équipe de Christophe Hondelatte sur RTL. Et l’aventure continue…

 

Yannis Tsikalakis

 

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