The revolution will not be televised…?

À l’ivresse éphémère des victoires gagnées lors des luttes pour les droits civiques, les ghettos noirs américains allaient, dès 1970, subir les affres de la misère sociale, des répressions policières et de la drogue. Le visage encore juvénile, Gil Scott Heron, dans un poème d’anthologie, pointait avec une verve annonçant le rap, les effets anesthésiants de la télévision sur les esprits naguère encore révoltés des noirs américains.




Depuis la deuxième guerre d’Irak, il semblerait qu’Al-Jazira soit devenue la lucarne critique par laquelle les peuples arabes observent le monde et aiguisent leur conscience que beaucoup croyaient ensevelie sous des couches de peurs, d’ignorance supposée et de résignation toute religieuse. La révolution tunisienne et le printemps des peuples qui se jouent encore de l’autre côté de la Méditerranée, viennent ébranler les convictions forgées tant dans les citadelles des potentats arabes que dans les salons des démocraties occidentales.

Dans des espaces fermés où les pouvoirs cadenassent toutes les velléités et brisent toutes les ressources, la télévision, même mondialisée, a offert un autre récit politique aux peuples épuisés par l’indigence des propagandes nationales.
Pour ceux qui s’intéressent à la relation tumultueuse entre les médias et les banlieues, sans sombrer dans la comparaison hâtive, le constat interpelle. Au point que lors d’une audition en 2010 par France Télévisions sur la question de la diversité, Nordine Nabili, président du Bondy Blog, annonçait sereinement que l’évolution du traitement médiatique des banlieues, et par là l’évolution des attitudes politiques vis-à-vis de leurs habitants, se transformerait radicalement si Al-Jazira s’installait dans les banlieues en y couvrant l’actualité. Cette perspective vertigineuse a effectivement de quoi faire frémir tous ceux qui depuis les plateaux télés ou les lambris ministériels, crient quotidiennement haro sur les banlieues. Imaginez qu’à chaque JT d’Al-Jazira, des millions de téléspectateurs de par le monde constatent la situation des banlieues. Imaginez les effets possibles d’un reportage d’un journaliste embedded avec des jeunes se faisant contrôler plusieurs fois par jour. Imaginez les considérations à l’endroit de la démocratie française après un documentaire sur le Tour de France d’AC-LeFEU. Imaginez encore le regard de nations entières face à un des talk-shows de la chaîne où Jean-François Copé devrait défendre son débat sur l’islam. Il est évident qu’un autre rapport de force naîtrait et que cette pression médiatique ferait quelques effets là où la pression du bulletin de vote semble irrémédiablement compromise. 

Al-Jazira n’est pas encore en France et elle n’y serait certainement pas la bienvenue. Les consensus mous et les reportages trompeurs ont encore quelques beaux jours devant eux. Faute d’alternative, les médias issus des banlieues qui n’ont ni les budgets de la chaîne qatarie, ni son impact, esquissent des perspectives ambitieuses, souvent audacieuses, mais encore peu à même de fragiliser le magistère d’un Jean-Pierre Pernaut. La prophétie de Gil-Scott Heron reste encore d’actualité sous ces cieux…
 

Farid MEBARKI
Président de Presse & Cité

 

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