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La ZEP, c’est aussi la Zone d’expression prioritaire

Dernier-né des acronymes parodiant la mythique Zep (Zone d’éducation prioritaire, donc), il y a depuis début janvier 2013 un blog, créé par un des fleurons de l’éducation populaire française : l’Afev. Un média d’expression tous azimuts d’une jeunesse qui lutte, qui peine et qui veut le faire savoir, mais aussi projet d’éducation à la prise de parole.
L’Afev (Association de la fondation étudiante pour la ville), « premier réseau d’étudiants solidaires intervenant dans les quartiers populaires », existe depuis 1992. Une vieille dame ? En tous cas, une dame qui est portée par une bonne centaine de jeunes salariés, quatre cent « volontaires » (en Service civique) et par plusieurs milliers de bénévoles répartis dans 15 villes de France et de Navarre… Une armée mexicaine, une vielle ET grosse dame ? Non, une dame qui n’arrête pas de bouger, surtout ! Sa dernière initiative, quelques mois après précédent intitulé « les jeunes bloguent la présidentielle », l’association lance donc cette nouvelle Zep numérique, une Zone d’expression populaire, quotidienne.
Il s’agit de témoignages, de récits à la première personne : qui je suis, ce que je vis…
Accompagner, pas former
Une volonté : « faire émerger la parole des jeunes, et la confronter avec la parole politique, à un moment », selon son initiatrice, Anne-Flora Morin-Poulard, militante de la structure depuis plusieurs années, et active entre Toulouse et Barcelone surtout. « Il s’agit de témoignages, de récits à la première personne : qui je suis, ce que je vis… » Les rédacteurs (environ 150 associés au projet), pour beaucoup, sont des bénévoles, ou des « volontaires » (des filles, pour les deux tiers), et pour la plupart des étudiant(e)s (en sciences humaines, notamment -soyons précis !). « Mais on travaille ça : on s’ouvre, on ne veut pas que ce soient que des jeunes de l’Afev qui écrivent, mais aussi des jeunes d’autres mouvements d’éducation populaire. Et on a maintenant plus de jeunes qui viennent de missions locales, aussi. » Le tout, avec non seulement l’accompagnement de l’association, mais aussi de plusieurs journalistes, comme Edouard Zambeaux, (de l’excellent « Périphéries », sur France-Inter) ; ainsi que de plusieurs autres journalistes, dont Emmanuel Vaillant (responsable éditorial du blog et journaliste à Letudiant.fr), qui oeuvrent dans des médias citoyens (parfois aux confins de Presse & Cité, comme Sabrina Kassa avec l’ex-Dawa, ou Philippe Merlant, avec Reporters citoyens).
J’ai l’impression qu’il y a un certain désenchantement, qu’on ne parle pas beaucoup de plaisir, d’épanouissement.
L’expression d’un malaise
Sur le fond, Anne-Flora, qui n’est pourtant pas une daronne du troisième âge, reconnaît cependant un décalage dans ce qu’expriment les rédactrices et rédacteurs, et ce qu’elle a elle-même vécu en tant qu’étudiante il y a quelques années : « L’expression porte souvent sur des questions de logement, de mobilité, de travail… des questions matérielles. J’ai l’impression qu’il y a un certain désenchantement, qu’on ne parle pas beaucoup de plaisir, d’épanouissement. On a l’impression qu’ils sont angoissés. Qu’ils s’accordent moins qu’on ne le faisait nous, de droit à l’expérimentation. Ils semblent se dire que, même avec un diplôme, ils ne trouveront pas de travail, même s’ils mettent toutes les chances de leur côté. Qu’ils ne sont vraiment pas sûrs d’y arriver. Il y a un très fort besoin de concret. Tous les choix semblent importants pour eux. Ils ont comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête… » Un blog qui exprime donc bien le profond malaise de la jeunesse de ce pays.
à Saint-Denis, il y a parmi nous des grands-frères et des grandes-sœurs qui ont galéré.
Un mouvement de mobilisation de toute la jeunesse ?
Et ce, même chez des jeunes étudiants qui ne sont pas tous, loin s’en faut, issus de classes populaires : si, « à Toulouse, les bénévoles sont tous Blancs, ils interviennent dans des quartiers qu’ils ne connaissent pas du tout. Par contre, à Saint-Denis, il y a parmi nous des grands-frères et des grandes-sœurs qui ont galéré. Mais dans les deux cas, ils paraissent avoir les mêmes difficultés, et partager les mêmes valeurs… » C’est d’ailleurs auprès de ces derniers, plus souvent issus de classes populaires, que se tourne dorénavant l’AFEV, y compris pour son blog : « Les trois-quarts des facs sont adossées à des cités : à Toulouse-Mirail, à Villetaneuse [93, NDLR], à Saint-Denis… Amener un groupe de mamans dans une fac alors qu’elles n’y sont jamais allées, c’est une victoire. Le savoir n’est pas seulement universitaire, il doit être pour tous… Notre blog va faire le lien entre ce qu’on écrit et ce qu’on revendique, ça renforcera notre fonction de « plaidoyer ». On travaille par exemple de plus en plus en direction des « décrocheurs » scolaires, ou avec des jeunes présents dans nos projets solidaires » : accompagnement (tutorat de jeunes élèves des quartiers par des étudiants), « colocations solidaires », ateliers d’orientation etc, etc.
Ainsi, l’enjeu n’est pas de former des bloggeurs, encore moins des journalistes, mais d’accompagner des citoyens. Promotion de l’engagement, sensibilisation… les objectifs de l’Afev restent saillants. « On veut devenir un mouvement de mobilisation de l’ensemble de la jeunesse ». Et interpeller les politiques, qui seront invités à se rendre dans les conférences de rédaction locales de Poitiers à Orléans, de Rennes à Lille, de Grenoble à Nanterre… Un blog qui n’est donc que la dernière pièce d’un vaste ensemble qui donne toute sa noblesse à sa vocation d’éducation populaire. D’autant que, selon l’initiatrice du projet, « l’effet qu’a un tel blog en terme de confiance en soi est très grand : certains jeunes apprennent à prendre une place dans un groupe, à s’exprimer, à dire ce qu’ils pensent. Ce n’est pas à la fac qu’on apprend ça. Et l’éducation populaire l’a aussi souvent oublié… »
Erwan Ruty