La Cité du cinéma démocratique

Luc Besson vient d’ouvrir sa Cité du cinéma. Un autre pôle du cinéma à Saint-Denis, microscopique à côté de celui de l’auteur du 5è élément, existe depuis 20 ans au cœur de la capitale du 9-3 : la Cathode. Le 4 décembre, une rétrospective des films de l’année était présentée. 

 
« Pendant qu’on regarde les médias, il y a quelque chose qui se passe et qu’on ne voit pas », assure Gabriel Gonnet, réalisateur et animateur des chantiers d’insertion de La Cathode. C’est ce quelque chose que regarde justement Regards2banlieue, un des programmes et web-tv de la Cathode. Une dizaine de reportages, films d’étude, documentaires et petits teasers personnels ont été diffusés pour quelques dizaines de fidèles compagnons de route de la structure d’éducation populaire à l’image. 
 

Grande diversité de sujets

Commandes ou envies de la quinzaine d’élèves que la structure accueille chaque année, les films réalisés offrent de toute évidence un regard atypique sur les quartiers, ou sur le pays dans son ensemble. On a ainsi pu voir hier des petits reportages sur l’insalubrité à Saint-Denis, suite à un incendie en plein cœur du vieux Saint-Denis en septembre 2012 ; un autre sur les cités jardins de Stains (« Il y a une tradition maraîchère en Seine-Saint-Denis, qui fournissait les Halles de Paris », assurera un des spectateurs !) ; un autre encore sur les Restos du cœur ; ou sur le droit de vote des résidents étrangers. Ce dernier film offre des discours rarement entendus, souvent nuancés, de personnalités politiques locales, y compris de l’UMP et du Modem, sans parler de la faconde de Jack Ralite (ancien maire d’Aubervilliers et ministre de François Mitterand) : « Ne pas voter exclut les immigrés du récit qu’un pays fait de lui. » Et de proposer, simplement : « Et si on parlait du droit de vote des habitants, plus que des étrangers ? » Sans parler de ce film de fan de funk, « Domi soul », du nom d’un DJ et disquaire des puces de Saint-Ouen, star des années 70 ; ou encore de tel reportage sur une équipe de Basket féminin de Pantin. 
 

Un témoignage écologique décalé

Plus insolite, on trouvera aussi des films comme « Ca broute à Saint-Denis » ! Rien à voir avec le cannabis, ou avec autre chose encore : il s’agit bien d’un reportage sur ce troupeau de moutons qui a servi à l’élagage et au désherbage des parcelles herbeuses et des haies de la ville ! Las ! Le troupeau broute aujourd’hui à Versailles… Beaucoup moins original, depuis la ferme de Marie-Antoinette. Mais c’est qu’à Saint-Denis, certains moutons avaient été kidnappés ! Histoire à la Wallace et Gromit ? Non, triste réalité du 9-3. Les Velibs’ ne sont pas les seuls à avoir souffert dans ce département, qui a donc encore quelques efforts à faire pour plaire aux bobos !
 

Des femmes là où on ne les attend pas

On retiendra aussi ce extrait du futur documentaire d’une réalisatrice tunisienne, Dora Kabli Mokrani : « L’égalité, Inch’Allah ». Sujet : le féminisme islamique. Etonnant film basé sur des entretiens réalisés avec des musulmanes de culture ou de croyance, venues du monde entier et pour la plupart chercheuses ou militantes… féministes. Qui replacent leur combat dans les traditions des pays musulmans : « Partout dans le monde, des femmes luttent par rapport à leurs particularités religieuses et culturelles, et croisent même ce regard avec l’universalisme », assure la réalisatrice. Qui retrace ainsi une mouvance qui a pris du poids dans les pays anglo-saxons à partir des années 90, mais qui puise ses sources dans les revendications qui ont émergé au moment des luttes anti-coloniales ou anti-impérialistes, en Algérie, en Egypte, en Iraq ou en Iran. Un mouvement à la fois nationaliste et féministe donc, qui a souvent été récupéré par les institutions et les Etats, pour produire un véritable « féminisme d’Etat », comme en Tunisie ou en Egypte par exemple (« Pour Nasser, le féminisme, c’était lui ! » clame ainsi Dora Moktari) Une volonté parcourt le film de cette réalisatrice exigeante : faire la part entre le dogme, les oulémas, les interprétations patriarcales des textes faites par des savants, hommes, et les messages spirituels. 
 
Vaste chantier, donc. Tout comme celui d’ailleurs que mène La Cathode pour proposer ce regard, frais et inédit, depuis la banlieue, sur les banlieues. 
 
 
Erwan Ruty
 
Photo : Brigitte Retout
 
 

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