Alakis’school : des ateliers au festival

Parallèlement à sa carrière de comédien au cinéma et à la télévision, notamment dans la série PJ, Jalil Naciri a gardé les deux pieds dans son 93 natal. Alakis, le collectif qu’il mène depuis 10 ans, se décline en société de production avec un premier long métrage, La Planque sorti récemment, mais aussi en structure de formation à travers notamment les ateliers d’éducation à l’image.

Transmettre l’expérience

Tout en voulant promouvoir la culture populaire à l’ancienne (sens de l’expression Alakis) et la musique funk, Jalil et ses collègues veulent transmettre aux jeunes de leur secteur leur expérience professionnelle dans le milieu du cinéma. « Les ateliers d’éducation à l’image ont pour but de permettre à des jeunes qui n’ont pas accès à des écoles un peu prestigieuses ou chères ou sur concours comme la FEMIS, de pouvoir approcher un peu les différents métiers du cinéma, explique-t-il. Comprendre déjà au niveau de l’écriture comment se structure dramaturgiquement un scénario et quelles sont les techniques. Ensuite le langage filmique, comment on tourne, qu’est-ce que c’est qu’une préparation, l’organisation d’un tournage, le plan de travail, la post-production, les différents métiers possibles, qui sont très nombreux, qui ne se limitent pas à être acteur ou réalisateur ou producteur mais qui sont des métiers indispensables à la fabrication d’un film. C’est important de connaître ces différents métiers qui peuvent être très séduisants dans un tournage et pas forcément très attrayants dans un cadre scolaire. L’électricité par exemple c’est plutôt considéré comme une voie de garage. Etre électro sur un tournage ça devient passionnant.»

Jalil, qui a appris ses métiers de comédien et de scénariste sur le tas, veut ainsi faire gagner du temps aux jeunes qui ambitionneraient de suivre ses pas. « Notre travail c’est de vulgariser ces métiers, que les jeunes se rendent compte que c’est pas inaccessible, que c’est possible, nous on en est la preuve vivante. Ca sert d’exemple : ça fait 10 ans qu’on développe Alakis, mais beaucoup de membres de ce collectif sont dans ce métier depuis pas mal d’années. Moi ça fait 20 ans. Je suis la démonstration en ayant arrêté l’école très tôt, qu’il y a des possibilités, c’est une question de travail, mais j’aurais gagné du temps si on m’avait montré des choses et qu’on m’avait montré certaines techniques notamment en matière d’écriture. »

Une double ressource
Pas particulièrement soutenu par les institutions, le travail d’éducation du collectif puise ses ressources dans l’expérience sociale préalable de Jalil en tant que professeur de capoeira, mais doit aussi beaucoup à la réussite du comédien en tant que professionnel du cinéma. « C’est une heureuse alchimie. C’est deux choses qui se sont nourries : la première c’est que les quartiers dans lesquels j’ai grandi, qui ont fait de moi aujourd’hui ce que je suis avec une authenticité dans le mouvement Alakis, m’ont permis d’avoir un rapport sain et authentique avec les jeunes avec qui je développe des choses. Avant de faire des ateliers d’éducation à l’image, j’étais formateur de capoeira. Ce travail là m’a permis aussi de savoir organiser quelque chose avec notre façon qui n’était pas classique et traditionnelle. (...)J’avais à la fois un pied dans le travail social avec les gens qui font partie de ce mouvement, les piliers d’alakis, et en même, avec le réalisateur Akim Isker ou Khalid Bazi, on est très engagés dans le milieu professionnel du cinéma à différents postes. Ca pouvait nourrir cette action sociale. Moi j’ai travaillé pendant 4 ans sur une série télévisée qui s’appelle PJ et je bossais aussi comme acteur sur pas mal de films… des long métrages au cinéma qui me rapportaient des sous et qui permettaient aussi un peu de nourrir le mouvement Alakis financièrement… Parce qu’il faut savoir que nous n’étions aidés par personne et par aucune instance publique. »

A force de mener à bout des réalisations, le collectif va être de plus en plus pris au sérieux dans son travail envers les jeunes, malgré une critique des institutions en trame de fond des projets développés. « Aujourd’hui il y a une écoute, constate Jalil, parce que c’est pas quelque chose qui démarre comme ça depuis trois jours. Ce n’est pas une lubie, ça fait dix ans qu’on a tendance à monter des spectacles de théâtre qui vont dans ce sens là. Bleu à l’âme, la première pièce de théâtre, allait complètement dans cette direction…c’était un peu une critique de l’éducation nationale mais de façon comique. Ca a eu une résonnance dans les quartiers d’où on vient. Puis on a continué avec d’autres pièces de théâtre, puis le film le Shtar, qu’on avait tourné dans ce qui va devenir la Cité du cinéma… parce qu’on a grandi dans ce coin là. Le Shtar c’était la démonstration qu’avec peu de moyens mais beaucoup de travail, de volonté et d’engagement, on peut faire des choses. Puisque l’arrivée du numérique, les petites caméras, les caméscopes, le montage numérique, l’arrivée de Final Cut, ont réduit les coûts de production très sérieusement. Ces choses-là ont permis de développer des productions de façon très concrète rapidement. Et à chaque fois qu’on mettait en place ces actions-là, on s’est toujours efforcés d’impliquer des jeunes avec qui on faisait des choses et avec qui on travaillait, de façon à ce qu’ils voient aussi l’envers du décor, qu’ils voient cet univers là. »

« Un festival diversifié et populaire »
Le point d’orgue de ces actions d’ateliers d’éducation à l’image, est sans doute le Festival Alakis’land, créé en 2007. « C’était un festival cinématographique populaire qui se déroule au pied d’une tour HLM sur l’Île-Saint-Denis, où on déroulait un tapis rouge et c’était robe de soirée smoking…on utilisait tous les codes un peu brillants et marrants du cinéma…sans se prendre au sérieux. C’était des smokings mais avec une paire de baskets. Le public intergénérationnel, extrêmement populaire et extrêmement diversifié et en même temps aussi avec tout un tas de professionnels, puisqu’on avait la chance d’avoir un pied dans ce milieu. Cette population se mélangeait avec des jeunes qui étaient plutôt stigmatisés sur l’Île-Saint-Denis, dont on faisait partie. »
En plus de faire se rencontrer des populations qui ne se fréquentent pas, cet événement annuel ambitionne de faire vivre une culture populaire des années 70-80. « On a programmé des films du patrimoine, puisqu’encore une fois Alakis c’est une sauvegarde de ce patrimoine populaire surtout des années 70-80 ; parce que dans les années-là il y a eu une véritable hécatombe dans les quartiers : la toxicomanie, le sida, la voyoucratie, la misère sociale, la précarité. Tout un tas de choses qui ont rendu la vie de cette population dans laquelle j’ai grandi, très difficile. Et aujourd’hui j’ai énormément de gens avec qui j’ai grandi qui ne sont plus là. Des bibliothèques vivantes de cet univers-là ont disparu. C’est pour ça que ça s’appelle Alakis, c’est une vraie référence aux anciens. »

Yannis Tsikalakis

http://www.alakis.com

Prochaine édition du Festival Alakis’land en avril 2012
 

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