
Synthèse Université P&C: atelier événementiel

Vous avez vraisemblablement entendu parler des « Y’a Bon Awards » organisés par l’association Les Indivisibles, ou encore des opérations du collectif « Sauvons les riches ».Pour occuper l’espace public et médiatique, ils détournent les codes marketing, communication, et même ceux du milieu du spectacle. Le résultat ? Une large couverture médiatique.
Imaginer une mise en scène originale
Pour Gilles Sokoudjou, président de l’association Les Indivisibles, créée il y a cinq ans pour porter un nouveau discours antiraciste,«il fallait prendre le contre-pied et déconstruire, notamment grâce à l’humour et l’ironie, les préjugés ethno-raciaux. » C’est pourquoi l’association a monté une cérémonie parodique, les « Y’a Bon Awards », qui « récompense » les propos jugés les plus racistes de l’année. Ce format particulier - tiré des Gérard du Cinéma qui priment les pires nanars - a l’avantage d’intéresser davantage les médias et le grand public qu’une cérémonie poussiéreuse et guindée. Et ce d’autant plus que les porteurs de cet événement ne se présentent pas comme des victimes. Pensé comme une sorte show, les anonymes y côtoient les « peoples », assurant des retombées presse certaines. « Ce succès est l’addition de plusieurs facteurs : les idées de fond d’une part et notre capacité à nous entourer de gens qui ont une visibilité. Lilian Thuram, Audrey Pulvar etc. Ces gens-là sont beaucoup plus disponibles qu’on veut bien le croire», souligne-t-il.
Créer un objet scénique ou détourner une actualité
Jeudi noir été créé en 2006 par les anciens de l’association Génération précaire. La manifestation d’étudiants affublés de masques blancs, c’était déjà eux ! Pourquoi le nom de Jeudi Noir ? « Le jeudi fait référence au jour où les annonces immobilières sont diffusées. Pour les jeunes en recherche de logement, le jeudi est une journée noire : celle de la chasse aux petites annonces », explique Julien Bayou, l’un des fondateurs.
Le collectif crée l’actualité lorsqu’il réquisitionne des immeubles vides, ou s’invite - déguisé - à la visite d’appartements dont le loyer lui semble surévalué. « On déboule chez le propriétaire avec du mousseux, des confettis, on fait la fête quelques minutes. Ça peut sembler « spontané » mais c’est très bien organisé, chacun a son rôle, le guetteur grimé et sympathique qui accueillera la police si elle est appelée par le propriétaire, celui qui explique le démarche à ce dernier, ceux qui rangent à la fin etc. Pensez à avoir toujours des photographes et vidéastes pour fournir éventuellement des contenus aux journalistes absents » voire poster ensuite des films sur Internet.
Il arrive aussi que le collectif se « greffe » sur l’actualité. Ce fut le cas lors d’une des manifestations sur les retraites organisées par les syndicats. « On avait une calèche stationnée sur la place de la République, avec une jeune femme déguisée en Marquise de Pompadour. On a invité José Bové à monter, il a traversé avec elle toute la place avec un gros cigare à la bouche. Les organisateurs de la manifestation ont été ravis car ils savaient très bien que c’est ce genre de mise en scène qui parle à la presse.», raconte Julien. Connaissant et appréciant les engagements du personnage, ils ne se sont en plus pas sentis « dépossédés » de leur manifestation.
Créer un réseau et faire date
En se raccrochant à une actualité qui peut être la sortie d’un rapport, l’anniversaire d’une date symbolique ou en imaginant une mise en scène, « comme envahir le salon de l’immobilier », précise Julien Bayou. Mais l’important est d’intervenir sur un créneau thématique précis, et de créer une récurrence sur ce créneau. A ce titre, le festival Paris Hip-Hop, créé par Bruno Laforestrie à partir d’une radio thématique (Générations) est un exemple qui a permis d’imposer une culture restée institutionnellement marginale par rapport à la culture classique ou au rock. Le tout en lien avec des associations locales, elles-mêmes actives à leur petite échelle. De même, « Jeudi Noir est juste une boîte à outil pour vulgariser et médiatiser des idées qui sont dans l’air. On s’appuie sur d’autres, la Fondation Abbé Pierre pour les statistiques, le DAL pour les revendications », explique Julien Bayou.
Gérer la médiatisation
«Nous n’avons pas de porte-parole, que des anonymes ! » souligne Julien Bayou, à l’inverse des Indivisibles. « Le plus compliqué est de passer du militantisme au lobbying vers les politiques : pour ne pas s’institutionnaliser, il faut ne pas avoir de salariés, et ne pas s’arrêter de critiquer les politiques, même si on peut quand même s‘engager dans un parti. Il faut juste que ceux qui sont engagés ne soient pas les interlocuteurs de leur parti. » Pour le président des Indivisibles, il y a un traumatisme de la récupération lié à l’histoire de SOS Racisme. « C’est heureusement en train de changer. Les rencontres avec les politiques se faisaient limite en catimini », rigole Gilles Sokoudjou.
Nadia Hathroubi-Safsaf