Reporter citoyen, opération portée par la TéléLibre et l'Ecole des métiers de l'Information, vient de boucler sa première formation de journalisme à destination des habitants des quartiers populaires. Retour sur une expérience engagée.
Le journalisme citoyen a le vent en poupe, tant la profession reste fermée aux classes populaires. C'est en partant de ce constat que Philippe Merlant, journaliste à l’hebdomadaire catholique La Vie et coordinateur de l’association, lance Reporter citoyen. Porté par deux structures, la Télé libre créé par John-Paul Lepers et l'Ecole des métiers de l'information (EMI) où Philippe Merlant est d'ailleurs formateur, le projet est amorcé en 2009. Avec un double objectif clé en ligne de mire : "fonder un média participatif en impliquant les quartiers populaires et ouvrir les métiers du journalisme aux classes populaires", résume-t-il. Et pour entrer de plain pied dans la réalité, Reporter citoyen lance une formation gratuite en 2010. Durant deux années, jusqu'en juin 2012, une vingtaine de jeunes est embarquée dans l'aventure.
Mieux cerner le métier de journaliste
Comment sont ils recrutés ? "Nous avons associé trois communes d'Ile-de-France, Créteil (Val-de-Marne), Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) et Stains (Seine-Saint-Denis), explique Philippe Merlant. Chacune des mairies leur met à disposition un local destiné à l'équipe.
Une collaboration précieuse qui permet de crédibiliser le projet mais surtout de fournir des candidats au coeur de la cible, si l'on peut dire…. "Dans chaque ville, nous avons pris des habitants exclusivement issus des quartiers populaires", rappelle t-il. Le succès est immédiat. "Au départ, nous attendions une dizaine de jeunes au global. C'était sans compter sans l'attrait que suscite le journalisme chez certains. Finalement, nous avons eu sept personnes par ville, soit le double, âgées entre 18 et 30 ans."
Au total, vingt candidats sont sélectionnés et rejoignent la formation. Avec des profils divers et variés. "Une partie d'entre eux étaient en cours d'études en gestion ou en cinéma par exemple, d'autres étaient salariés. Egalement présents, des jeunes en recherche d'emploi", précise-t-il. A la question de savoir pourquoi tous ont souhaité suivre cette formation, Philippe Merlant répond : "la volonté de mieux cerner ce métier" -parfois décrié pourrait-on ajouter… Loin de brosser un tableau idyllique, il note que "l'opération a débuté avec 20 personnes. A l'arrivée, ils ne seront que 12." En cause, certainement, la durée de la formation -presque 3 ans- et son caractère non diplômant. Reste que les présents ont néanmoins apprécié de profiter des compétences de la TéléLibre (et de son charismatique animateur), ainsi que de l'EMI.
Une formation pluridisciplinaire… et citoyenne
Métiers du reportage multimédia, création de sites multimédia de quartier et réalisation de documentaires participatifs. "En près de 3 années, les participants ont pu se frotter aux techniques journalistiques avec un gros volet video", souligne Philippe Merlant. Dans ce contexte, les vocations se sont dessinées très clairement. "Si une partie d'entre eux a vécu Reporter citoyen comme une expérience de vie démocratique citoyenne, la majorité a confirmé sa volonté de poursuivre dans la profession, que ce soit en journalisme ou dans les métiers plus techniques", constate l'initiateur du projet. Des candidatures devraient affluer dans les filières de journalisme en alternance et à la Fondation TF1, notamment...
Parole des sans-voix, un tirage à 7 millions d'exemplaires !
Dans la veine des problématiques portées par Reporter citoyen, Philippe Merlant a souhaité réitérer l'expérience Parole des sans-voix. La première édition de ce 8 pages, consacrées à l'extrême pauvreté et aux luttes qui s'y rapportent, sort en 2007. L'initiative venait de plusieurs associations, dont ATD Quart-monde. Le but ? Faire entendre la parole des sans-voix lors de l'élection présidentielle. En 2012, Philippe Merlant leur propose que ce supplément, tiré à 7 millions d'exemplaires, soit conduit par Reporter citoyen. Le numéro est entièrement pris en charge par les jeunes sous l'égide des parrains. "Un tirage pareil, c'était une chance pour eux!" Parole des sans voix sera distribué en supplément d'une vingtaine de quotidiens nationaux et régionaux.
Sortir du quartier
Avec cette formation, les apprentis journaliste ont, à coup sûr, dépassé les limites du quartier. Une démarche pas vraiment prévue, au départ. "Nous pensions vraiment développer une pratique locale. A titre d'exemple, nous avions mis en place une conférence de rédaction hebdomadaire dans chaque ville partenaire", ajoute-t-il. Elles ont bien sûr été maintenues. Mais très vite, les participants ont manifesté l'envie de traiter des sujets extérieurs au quartier. "Nous avons même fait des sujets à l'international ! ", se réjouit-il. Forum social mondial à Dakar (Sénégal), échange avec le Burkina-Faso en lien avec AlterMondes, déplacement en Israël et en Palestine, puis en Tunisie en février dernier. Les occasions de se frotter à l'actualité internationale n'ont, donc, pas manqué. Un web-documentaire sur les révoltes arabes est d'ailleurs en cours de finition. Une seconde promotion devrait voir le jour en 2013. Il faut dire que l'opération n'a pas eu de mal à emporter un certain engouement. "Le montant des subventions allouées en atteste. Sur les presque 3 années de formation, nous avons eu 150 000 euros par an de la Région Ile-de-France, de l'Acsé, du ministère de la Culture et de quelques fondations."
Réalisation de deux web-documentaires, l'un dédié aux révoltes arabes et l'autre aux reporters citoyens, réalisé par John-Paul Lepers. Avec les médias citoyens, le journalisme a trouvé une nouvelle voix.
Nadia Henni-Moulaï