
Le virtuel pour optimiser le réel

Seconde thématique abordée lors de l’Université des banlieues et de la communication : comment créer une communauté via des réseaux sociaux.
Comment mobiliser un maximum de personnes autour d’un évènement, d’une cause, d’un projet ? Une question que se posent toutes les associations, en particulier celles des quartiers populaires, isolées géographiquement et sans moyen de communication important. Le web fourmille de réelles opportunités à moindre frais.
Fédérer, règle de base d’une communauté virtuelle
« Quels nouveaux supports de la participation pour quelles nouvelles communautés ? » Et c’est l’entrepreneur Lamine Djaziri qui a ouvert la discussion. Autrement connu sous le pseudo Dédess, ancien animateur du « JT des quartiers » sur le Bondy blog, aujourd’hui concepteur de « Fansfoot », un site dédié aux supporters du ballon rond : « Je me suis rendu compte qu’il n’existait rien qui réunisse tout ce qui pouvait se faire au niveau des supporters de football à travers le monde. » Il décide alors de réunir la communauté des fans de foot sur la toile. Règle de base : « une communauté doit fédérer des personnes. La passion peut être la glue qui lie une communauté » a-t-il insisté. Un impératif s’impose : la crédibilité. « Avant de monter un réseau social, il faut construire sa légitimité. » On ne crée par un site dédié au jazz si ne connaît rien au jazz, mais il n’est pas pour autant nécessaire d’être un jazzman de renommé internationale. Lamine Djaziri n’était ni star de foot ni membre d’un club de supporter, mais il s’intéresse à la discipline. Pour construire sa légitimité, il a créé un blog : « J’y publiais des articles ou des post sur les groupes de supporters à travers le monde. Ce qui marche très bien, ce sont les interviews. Surtout avec des people ! » Ainsi que les vidéo. «Attention, si c’est long, ils zappent. » Pour tisser sa toile, il nouera des partenariats avec des sites officiant dans le même secteur. Et ainsi de suite jusqu’à créer Fansfoot.
Relier un engagement à un réseau social
Lamine va continuer, devant une assistance captivée, à raconter l’histoire de Fansfoot, bombardant son récit de trucs et astuces pouvant être repris par des associations qui veulent elles aussi créer une communauté virtuelle : design épuré pour un site, sponsoring premium, achat de nom de sous-domaines (fansfoot.com et funfansfoot.com, par exemple) pour drainer des flux sur des thèmes très entertainment mais qui drainent un intense trafic (ex : chatroulette, qui permet des chats entre des internautes choisis au hasard !), événements virtuels (ex : prix de la meilleure banderole de tribune sur fansfoot). Il faut aussi se permettre de lancer son projet avant la fin du développement technique : « les premiers feedbacks de la communauté permettent de voir ce qui l’intéresse. Les premiers ambassadeurs sont les plus importants. Un réseau social, c’est d’abord social, pas technique ! Pas besoin d’être un pro de la technique », insiste Lamine Djaziri, répondant à une question de la salle. Des sites comme Wordpress vous mâchent le travail. « L’essentiel c’est de trouver votre niche. L’aspect technique, c’est le dernier point. Google +, c’est magnifique, pour nous c’est un concurrent plus beau, plus technologique, plus riche… tout. Mais en deux mois et demie, on les a fumés en terme de followers. »
Le buzz, mais pas seulement
Référencement, rentabilité économique, degré d’implication ? Les questions, précises, fusent. Les militants associatifs ont visiblement déjà réfléchi à la question et veulent des réponses précises afin de dynamiser « leur communauté réelle » par « une communauté virtuelle ». « Vous êtes en train de me convertir », admettra Ousmane Timéra, membre de Cités en mouvement, confronté à cette question l’an dernier quand il lancera, avec d’autres acteurs des quartiers, à la veille des législatives de 2012, l’« Appel des 577 ». « Je m’étais alors posé la question de relier mon engagement politique à un réseau social. Mais j’ai eu beaucoup de mal à le faire. J’avais l’idée de quelque chose de pas sérieux, qui ne pense qu’à faire du buzz pour le buzz, un truc de jeune quoi ! » L’intervention de Lamine Djaziri, même s’il est sur un tout autre créneau, le football, a définitivement convaincu l’assistance de l’intérêt d’exploiter le web en général, les réseaux sociaux en particulier, pour donner de l’ampleur à un mouvement associatif.
Ousmane Timéra (à gauche)
Les limites de la transformation de la société par le web
Nordine Nabili, directeur du Bondy blog, second intervenant, complètera son propos. Insistant, lui, sur les difficultés à atteindre ses objectifs, à savoir, en ce qui concerne les instigateurs du Bondy blog, changer le regard sur les quartiers populaires en inondant les rédactions de journalistes issus de ces territoires. Mais c’est à un constat amer auquel Nordine Nabili se livre : « La storytelling du Bondy blog (BB) est réelle. Le BB est né dans un très mauvais moment social. Dans son ADN, il y a la mort de Zyed et Bouna. A Amiens, on a coupé les têtes de réseau associatif depuis des années. Et aujourd’hui, le maire d’Amiens nous contacte pour nous proposer de créer un BB dans sa ville, comme si c’était cela qui allait régler les problèmes sociaux ! Le Bondy Blog est perçu comme ça. On ne veut pas être les singes d’une société qui va mal. La notoriété du BB prend sa source dans la culpabilité de la presse française qui de temps en temps ouvre la fenêtre et regarde ce qu’il y a en bas. Alors on a eu notre émission sur LCP, le Bondy Blog café, l’émission la plus regardée de la chaîne, mais on n’a pas fait évoluer la société française et c’est cela notre drame. C’est sur France Télévision que l’on aurait dû être. »
Il y a communauté et communauté
Ceci étant dit, l’histoire du BB continue de s’écrire. « Le mot communauté est très mal vu quand on parle de la société, mais très moderne quand on parle de nouvelles technologies ! » Le média s’est structuré, professionnalisé, devenant un véritable organe de presse. « On n’est plus dans la revendication, mais dans l’innovation qui marche. Le BB café, c’est l’émission la moins chère et la plus regardée de LCP ! Mais on est encore en train de discuter. Sept ans après 2005, on n’a pas fait avancer la société française d’un pouce. On ne vit plus dans une société où les opinions s’échangent dans une place publique physique, la famille, le café, les syndicats etc, mais dans une société où la place publique est médiatique, virtuelle. C’est des gens qui ont des opinions sur tout et sur rien, 350 journalistes, qui font l’opinion. C’est une caste qui a fermé portes et fenêtres. » Aussi, insistera-t-il, si le web a pu porter l’aventure il n’en est pas à la source. « Au départ, il y a une revendication sociale. Une jeunesse de France qui avait envie de s’exprimer. Ce ne sont pas les TIC qui créent cela. Mais si vous vous avez une association de quartier, un blog est un moyen de la faire émerger. » Mais cet exercice a des limites : « 90% de mes followers sur Twitter sont des journalistes. Qui peut produire des slogans en 140 signes ? Les partis politiques, le marketing. » Et ils n’ont par leur pareil pour inonder les réseaux sociaux de leurs messages. Nordine Nabili rappelle : « Le patron de Fiat disait : Ouvrez les archives de nos usines aux grévistes ! Plus vous informez les gens, plus vous les désinformez ! » En les débordant d’informations.
Deux millions de vus
Parfait exemple d’une mobilisation qui a pris grâce aux réseaux sociaux : la campagne Stop le contrôle au faciès. Une campagne qui s’est faite en quatre étapes très structurées, se fondant sur les techniques du community organizing : les tournées dans les quartiers pour sensibiliser les jeunes sur leur droit face à un contrôle abusif avec la mise en ligne d’un service d’appel téléphonique pour ceux qui s’estiment abusivement contrôlés ; puis le recueil de témoignages, validés par un service juridique, et qui ont donné lieux à des plaintes ; ensuite une première action en justice, en avril 2012 ; enfin, la sensibilisation de l’opinion publique et des politiques grâce à une web-série réalisée par Ladji Real, qui fera le buzz (« Mon 1er contrôle au faciès »). La diffusion du premier teaser, dans laquelle des rappeurs racontent l’humiliation et la violence subie lors de leur premier contrôle, plongera la salle dans le silence. « La stratégie que nous avons mis en place, explique Ladji Real, c’est d’utiliser le web pour diffuser le clip. La première saison a enregistré plus de deux millions de vus. » Un site est créé, une page Facebook également. Ensuite, tout s’enchaîne très vite. La vidéo circule jusqu’à susciter l’intérêt des médias. Le buzz est créé. Un outil à envisager pour mobiliser. Un de plus. Mais un témoignage qui prouve que l’outil web ne sert qu’à diffuser une expérience militante, de terrain, réelle.
« Finalement, on se rend compte que c’est moins compliqué qu’on ne le pensait, confiera à l’issue de la matinée, Christelle Evita, membre de l’association Influences, à Villiers-le-Bel. Ce sont des petites choses, pas très compliqués, que l’on peut mettre en place immédiatement et qui peuvent nous permettre de faire du bruit autour de nos activités. » Le message est bien passé.
Dounia Ben Mohamed
Photos : Anglade Amédée