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Ramadan à Gennevilliers : comment « sortir » une « affaire » ?

Si finalement « l’affaire de Gennevilliers » a connu une heureuse issue, les animateurs renvoyés en raison de leur pratique du ramadan ayant réintégré leur poste, l’histoire a néanmoins fait grand bruit et créé le buzz. Et c’est au Bondy blog que cette histoire commence…
Au départ, quatre animateurs de colonie de vacances victimes, selon eux, de discrimination en raison de leur pratique religieuse. L’affaire aurait pu être jugée devant les Prud’hommes. Mais finalement, c’est sur la place publique, et même médiatique, qu’elle a été traitée. Lundi 30 juillet le Bondy Blog publie un article intitulé « Tu fais le ramadan ? T’es viré ! » Le papier, signé Widad Kefti évoque le renvoi des quatre animateurs travaillant pour la mairie de Gennevilliers pour cause de jeûne, en vertu de l’article 6 du contrat de travail signé par les employés, selon lequel chacun d’entre eux s’engage à « veiller à ce que lui-même ainsi que les enfants participant à la vie en centre de vacances se restaurent et s'hydratent convenablement, en particulier durant les repas ».
Révélée par le Bondy Blog, l’affaire est très vite reprise par la presse nationale
Cela n’aurait pu rester qu’un banal fait divers, si il n’avait fait couler beaucoup d’encre. « C'est un jeune homme que j'ai rencontré, Bocar Niane, qui est actif dans les quartiers, qui a eu vent de cette histoire et m'a demandé si je pouvais traiter le sujet, rapporte l’auteure de l’article. J’ai alors rencontré les animateurs. » Après avoir recueilli la version des jeunes gens, elle tente d’avoir celle de la mairie. « J’ai contacté le directeur du centre de vacances, celui qui a décidé du renvoi, poursuit-elle. Je peux vous dire qu’il m’a envoyé balader de manière violente. Il n’a pas voulu croire que j’étais journaliste mais une amie des animateurs qui cherchait à en savoir plus. Il a cru à une machination pour lui faire peur. J’ai alors cherché à contacter ses supérieurs. On n'a pas souhaité me répondre. Ce qui me fait sourire aujourd'hui parce qu'après, c'est le maire lui-même qui a répondu aux interviews des journalistes. »
Dès le départ, ils ne voulaient pas parler à des journalistes lambda. Ils n’avaient pas envie d’apparaître comme des jeunes de banlieues mais comme des employés comme les autres qui ont été renvoyés sur la base de leur pratique religieuse
Par peur d’être caricaturés, les animateurs refusent les interviews télé
A peine l’article en ligne, il est repris par d’autres sites d’information. Les sites des journaux nationaux notamment. « C’est à partir du moment où l’AFP a publié une dépêche sur l’affaire, qui citait le Bondy Blog que les journalistes ont commencé à nous contacter, indique-t-elle. Ce n’est pas la première fois que le Bondy Blog est repris par d’autres médias. Mais même si je savais que ce serait à nouveau le cas, je ne pensais pas que cela prendrait de telles proportions. » Alors que de leur côté, les animateurs, eux, ne vont pas chercher à faire parler de leur cas. Par peur d’être instrumentalisés, caricaturés par les médias. « Dès la publication en ligne de l’article, le lundi soir, plusieurs journalistes ont contacté le Bondy Blog pour me joindre. Ils voulaient avoir des précisions sur l’affaire, surtout ils voulaient les numéros de téléphone des animateurs. J’ai alors demandé l’autorisation aux animateurs. » Lesquels acceptent, pour une partie seulement des journalistes. « Ils ont refusé les journalistes télé. Dès le départ, ils ne voulaient pas parler à des journalistes lambda. Ils n’avaient pas envie d’apparaître comme des jeunes de banlieues mais comme des employés comme les autres qui ont été renvoyés sur la base de leur pratique religieuse, insiste Widad. Mais les journalistes auxquels les animateurs ont refusé de répondre m’ont rappelé ensuite pour me demander de les convaincre et de les accompagner comme si j’étais leur fixeur. »
L’affaire sort de son contexte local et devient un sujet de société
Widad Kefti refuse, mais l’emballement médiatique et déjà en marche. Les grandes chaînes de télé vont diffuser à leur tour des sujets sur cette histoire. L’affaire de Gennevilliers sort de son contexte local est devient un sujet de société. On s’interroge sur la capacité, ou non, pour des musulmans de répondre à leurs obligations professionnelles s’ils jeûnent. La communauté musulmane de France, à travers les associations et représentants du culte, crient à la discrimination religieuse. Un "iftar géant" (une rupture de jeûne) est organisé par un collectif d’associations devant la mairie pour dénoncer ce qui est perçu comme une décision islamophobe. Des associations menacent de porter plainte. Gennevilliers se retrouve au cœur d’une vive polémique. La mairie ne va pas alors adopter la même attitude qu’avec la journaliste du Bondy Blog.
Le maire admet les faits et les assume…
Bien au contraire, elle va communiquer. De manière très étonnante au départ : dans un communiqué publié sur le site de la ville, puis en répondant aux questions des journalistes, le maire, Jacques Bourgoin (PCF), admet les faits et les assume pleinement, se réfugiant derrière le fameux article 6 des contrats de travail signés par les animateurs. « Ils ont admis avoir renvoyé les animateurs parce qu’ils faisaient le ramadan, pensant que l’article qui mentionnait l’obligation de se nourrir les protégeait, explique-t-elle. Ils ont fait référence à un accident qui se serait produit il y a quelque temps avec une animatrice qui ne se serait pas nourrie. » Un accident de circulation, dû à un malaise impliquant une conductrice de minibus en train de jeûner, aurait en effet amené il y a deux ans, le maire à inclure cet article dans les contrats de travail des animateurs.
c’est quand le communiqué du FN est tombé, déclarant qu’il soutenait la mairie de Gennevilliers, qu’ils ont reculé. Ils ne voulaient pas être associés au FN
… Avant de se rétracter
Malgré tout, la mairie va finalement se rétracter. Quelques jours à peine après la publication de l’article, dans un communiqué, la municipalité annonce, après avoir indiqué avoir subi « de façon injuste des polémiques totalement éloignées de nos convictions antiracistes et de notre engagement contre les discriminations », revenir sur sa décision et rétablir les employés dans leur droit. « Ils ont été très réactifs, juge Widad. Très vite, ils sont revenus sur leur décision. Selon moi, c’est quand le communiqué du FN est tombé, déclarant qu’il soutenait la mairie de Gennevilliers, qu’ils ont reculé. Ils ne voulaient pas être associés au FN.» Effectivement, dès le 31 juillet, dans un communiqué de presse envoyé à l’ensemble des médias et largement repris, Steeve Briois, secrétaire général du FN, avait déclaré, au nom de la défense de la laïcité, soutenir la mairie communiste de Gennevilliers. Ce qui n’a pas manqué de passionner davantage le débat qui, comme très souvent, a ainsi glissé du champ médiatique à l’espace politique.
Je ne pense pas que la mairie ait agit pas islamophobie ou qu’il ait réellement eu volonté de discriminer les animateur...Je pense que la question mérite d’être posée, mais pas de cette manière
A droite comme à gauche c’est le tollé contre la mairie communiste
A droite comme à gauche, c’est le tollé contre la mairie. Le maire a donc fait le choix de reculer avant que la situation ne s’embrase. « Je ne pense pas que la mairie ait agit pas islamophobie ou qu’il ait réellement eu volonté de discriminer les animateur, envisage aujourd’hui la journaliste avec le recul. La mairie était convaincue d’être dans son droit, de protéger la vie des enfants. Mais dans ce cas là, il faut également prendre des mesures contre les médecins qui font le ramadan parce qu’eux aussi ont des vies entre les mains. Je pense que la question mérite d’être posée, mais pas de cette manière, en interrogeant des médecins. » Ce qui aurait en outre le mérite de dépassionner le débat.
La voix des quartiers
En attendant, le Bondy Blog a, à travers cette affaire, gagné un peu plus en notoriété et en crédibilité. Mais ce n’est pas à ce niveau que Widad se réjouit. « On a réussi à faire connaître le Bondy Blog un peu plus et c’est bien. Mais ce n’était pas le but, insiste-t-elle. Je n’ai pas écrit cet article en me disant qu’il allait faire le buzz. Ce que je voulais avant tout c’est révéler un abus flagrant. Surtout, ce que cette affaire confirme c’est que nous sommes bien ce que nous prétendons être, la voix des quartiers. Si les animateurs sont venus nous voir nous et pas d’autres journalistes, c’est parce que l’on a un côté plus humain. Ce n’était pas un article parmi d’autres et puis on passe à autre chose, avec nous il y a un suivi. Le Bondy Blog est un média de proximité. »
Dounia Ben Mohamed