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Médias relégués et médias de la relégation

Depuis de nombreuses années, sociologues, élus locaux ou militants associatifs, annoncent que l’avenir de la France est en banlieue. En 2010, on peut certainement convenir que les quartiers populaires habitent désormais pleinement le présent et qu’enfin ils ne sont plus disqualifiés dans la construction du récit national. La preuve, en quelques mois les grands médias n’ont eu de cesse de se pencher sur ces quartiers naguère encore prisonniers sans permission de la rubrique faits divers. L’immersion téléphonique du magazine le Point dans la vie de Bintou femme de polygame, la traque sans concession de sexistes pré pubères par les caméras d’Arte dans la « Cité du Mâle », la plongée en apnée d’Elise Lucet dans les caves françaises de l’ultraviolence, ou encore la performance du téléfilm « Fracture » avec l’invention du procédé « un cliché à la séquence », témoignent incontestablement d’un intérêt grandissant pour les banlieues françaises… Et malheureusement de la permanence des fantasmes qui lui collent à la peau et dont se gavent les grands médias.

Si les taux d’abstention enregistrés en banlieue sont un symptôme de la fracture avec le pouvoir politique, la qualité du traitement médiatique des banlieues est indiscutablement la conséquence du fossé qui demeure entre médias et quartiers populaires. Et également le symptôme d’une érosion inédite du quatrième pouvoir, en proie à une forme élaborée de domestication par les pouvoirs politique et économique.

Malgré les dégâts occasionnés par ces dérives de prime time, des évolutions sont perceptibles. Plusieurs documentaires remarquables aux confins des grilles de programmation, des émissions dédiées sur France Télévisions et LCI, des numéros spéciaux dans la presse, des journalistes de la PQR ou de la PQN qui revendiquent une spécialisation sur les banlieues… Des évolutions notables mais encore fragiles ; à l’image de l’émission Microscopie diffusée sur RFI et désormais supprimée au motif que « la banlieue ne mérite pas 47 minutes hebdomadaires ».

En 2010 dans les grands médias publics ou privés, il est encore difficile de faire vivre avec conscience professionnelle des lucarnes en prise avec la complexité des quartiers populaires. C’est pourtant ce leitmotiv qui pousse des médias nés en banlieues à développer avec peu de moyens et beaucoup de débrouillardise une autre vision de cette réalité. Vidéo, radio, photo, texte ou web, ont été investis pour relater, traiter et analyser le quotidien des grands ensembles ; essayant de créer une perspective dissonante avec le discours dominant. Perspective d’autant plus intéressante que ces médias assument pleinement leur rôle social : à la fois informateurs, animateurs locaux et acteurs de la citoyenneté. Cette proximité revendiquée par ces médias urbains, constitue un pilier là où les grands médias voient leur ADN irrémédiablement modifié par la course au buzz, l’injonction à l’immédiateté et l’éloignement que semblent imposer le modèle issu du net.

Changer de prisme à l’endroit des banlieues et lutter contre les déformations dont elles sont régulièrement l’objet, dépassent la création d’un rapport de force avec le pouvoir médiatique. Les initiatives issues des médias des quartiers ou de certaines rédactions donnant une vision plus complexe des banlieues, sont aussi à leur manière des tentatives pour contrer les processus de relégation.

En réunissant des associations, des institutions, des grands médias et des médias de banlieues pour échanger, débattre et esquisser des perspectives lors du 3ème Forum Médias Banlieues, Presse & Cité crée une passerelle unique entre des acteurs qui trop souvent s'ignorent. Une journée d'échange c'est peu, c'est un commencement.

Farid Mebarki
Président de Presse & Cité

 

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