
Fight club médiatique
Ressources
Médias : diversité des visages ne rime pas avec diversité des messages - RU

Depuis 2005 et les émeutes de banlieue, quelques initiatives ont été lancées pour rendre les médias moins «pâles». Mais, malgré la nomination d’Harry Roselmack sur TF1 ou d’autres nouveaux visages sur le petit écran, le discours ne semble pas bouger d’un iota.
«Les médias doivent mieux refléter la réalité française d'aujourd'hui», avait déclaré Jacques Chirac, alors président de la République, au lendemain des émeutes urbaines de 2005. Depuis, quelques initiatives ont été lancées pour une plus grande diversité. La plus médiatisée reste la nomination d’Harry Roselmack au 20 heures de TF1, en mars 2006. Citons encore l’arrivée d’ Aïda Touihri sur M6, le recrutement de Mouloud Achour sur Canal + ou celui de Yassine Belattar sur France 4. La Première chaîne a par ailleurs mis le pied à l’étrier à des jeunes de banlieue en leur proposant des contrats de professionnalisation. L’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille a pour sa part ouvert une classe prépa à Bondy (Seine-Saint-Denis)…
La couverture de la banlieue et de sa population a-t-elle pour autant évolué en cinq ans ? Rien n’est moins sûr. Pour l’historien des médias Jean-Marie Charon, diversité des visages ne rime pas avec diversité des messages : «C'est bien que quelques figures et voix illustrent la diversité. Mais cela ne suffira jamais à faire évoluer le traitement lui-même.» Et les journalistes, qu’en pensent-ils ? Si la plupart reconnaissent que l’utilisation de symboles à la télévision est primordiale pour que les téléspectateurs se sentent représentés, ils ne voient pas encore de réels changements dans le discours. Pour Mustapha Kessous, du Monde, c’est avant tout une question de vocabulaire : « Pourquoi utiliser les termes «minorités visibles», «communautés» ou «d’origine» pour parler de noirs ou d’arabes ? C’est hypocrite. Pourquoi ne pas dire Français tout court ? Lors de son tout premier JT sur TF1 (NDLR : le 17 juillet 2006), Harry Roselmack utilise l’expression «d’origine haïtienne» pour parler d’une femme noire victime de discrimination à l’embauche. En cela, il ne se différencie pas de ses prédécesseurs.»
«L’arbre qui cache la forêt»
Selon Stéphanie Marteau, qui travaille pour l’hebdomadaire Marianne et a co-écrit l’ouvrage Black, Blanc, Beur (Albin Michel, 2006), une enquête sur le racisme des élites, «le problème, c’est que les journalistes issus de minorités visibles sont trop souvent recrutés à la télévision pour leur docilité». De fait, ils se font «les relais de discours qui posent problème».
Nordine Mohamedi, journaliste de France 3 qui a saisi la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et l’exclusion) après «six années de CDD à plein régime», estime que c’est «l’arbre qui cache la forêt». «On ne cherche pas à régler durablement les problèmes. On ne prend que des mesurettes», ajoute-t-il. Raphäl Yem, qui collabore à Canal +, France 5, Radio France, la radio Générations et a créé Fumigène, un magazine sur les quartiers populaires, milite pour que des journalistes issus de la diversité ou des quartiers populaires aient accès à des postes à responsabilités. «Cela permettrait de casser un certain nombre de clichés que peuvent avoir des rédacteurs en chef en place», dit-il.
Faut-il forcément avoir grandi dans une cité ou être noir ou arabe pour travailler en banlieue ?
«On a, c’est vrai, un regard différent, un regard de l’intérieur. Mais l’important, c’est surtout de ne pas y aller avec des clichés. Il faut s’ouvrir», estime Fatoumata Bakily, actuellement en contrat de professionnalisation chez TF1. «Ce n’est pas une obligation, considère pour sa part Raphäl Yem. Il faut se dire qu’on ne vient pas dans les quartiers comme on y irait au fast-food. Et prendre le temps de capter les codes et en être respectueux.»
Promouvoir la mixité sociale
«Si l’on va par là, il faudrait embaucher un ancien patron d’une entreprise du CAC40 pour couvrir l’économie ou un ancien sportif de haut niveau pour traiter de l’actualité sportive», ironise Mustapha Kessous. «Je préfère avoir un blanc prénommé Michel qui couvrira correctement la banlieue», tranche un journaliste d’une grande chaîne qui a préféré conserver l’anonymat. «Ce n’est pas une question de couleur de peau, l’important c’est de promouvoir la mixité sociale, reprend Mustapha Kessous. De faire en sorte, qu’il y ait dans une rédaction, des journalistes avec des parcours différents et qu’ils ne soient pas tous issus de la classe dominante.»
On en revient à la problématique du recrutement des journalistes. «J’ai l’impression que le principe de méritocratie ne fonctionne plus. Qu’il faut forcément être du sérail ou coopté pour être embauché quelque part», déplore Nordine Mohamedi. «A trop recruter au même endroit, on commet une erreur. Il faut arrêter de croire que parce qu’une personne a fait l’ESJ de Lille ou le CFJ (Centre de formation des journalistes), elle fera forcément un bon journaliste», renchérit Mustapha Kessous, qui explique lui-même ne pas avoir fait d’école de journalisme.
«Il faudra beaucoup de temps»
Jean-Marie Charon pointe quant à lui du doigt les orientations prises par les hiérarchies des rédactions sur la question de la banlieue. «Je crains que passé les période de crises violentes, les choses reviennent comme avant, d'autant que les moyens manquent pour spécialiser et former les journalistes à ces questions, que du coup la prime est aux généralistes à tout faire, qui courent d'un sujet à l'autre, qui ne remettent en cause ni leurs préjugés sur ceux qui ne sont pas des mêmes lieux, des mêmes milieux, explique-t-il. Il faudra beaucoup de temps pour que la diversité interne aux rédactions viennent jouer un rôle de contrefeu à ces logiques "spontanées".»
Une diversité qui, malgré les initiatives citées plus haut, tarde à faire des émules dans les rédactions. Dans son dernier rapport (2009), le Club Averroès, qui regroupe des professionnels des médias pour promouvoir la diversité, tire même la sonnette d’alarme: «Crise ou pas, la diversité dans les médias ne progresse pas. Pire, elle régresse.»
Ludovic Luppino – Ressources urbaines