
La réussite, la personnalité et le milieu d'origine

Le 22 septembre, une cohorte de jeunes entrepreneurs de TPE, souvent issus des quartiers, rencontrait un chef d'entreprise du CAC 40, président d'Essilor, sous l'égide de La nouvelle PME. Quand la fonction d'entrepreneur et les ambitions permettent le mariage de la carpe et du lapin...
Un club d'entrepreneurs... pas comme les autres
Quand on se rend dans ce temple de l'entrepreneuriat dit social qu'est le Comptoir général, en plein QG des bobos parisiens, et qu'on a un mauvais esprit, on se dit qu'on va assister à un grand moment de poésie libérale, de celles qui nous chantent les louanges du social business, soit l'art de faire du business sur le dos de la misère sociale. D'une certaine manière, on sera déçu. La salle est dressée d'une dizaine de tables auxquelles vont s'asseoir les convives pour netoueurquer, comme pour une réunion du club XXIè siècle, en beaucoup moins aristocratique bien sûr. Les concepts tout états-uniens de la rencontre (« networking », présentation façon « elevator pitch », speed-meeting…) nous permet d'apprendre plein de nouveaux mots du vocabulaire managerial. Heureusement, le public sauve les apparences : rien à voir avec un quelconque « club d'entrepreneurs » de base. Il s'agit d'un pare-terre métissé de jeunes gens, à dominante masculine certes, mais dont la spontanéité dans l'échange nous rappelle l'origine sans doute souvent modeste du public, bien plus appréciable que dans les autres cénacles très collet-serré et langue de bois de ce milieu. C'est ce qui nous sauvera du sommeil qui ne peut manquer de gagner généralement le témoin de ce genre de rencontre.
Les qualités humaines, c'est mieux
Qui plus est, l'intervenant, Xavier Fontanet, a le mérite de jouer cartes sur table. La soixantaine alerte, voire bonhomme, il ne cache pas ses origines bourgeoises de province, métisse de breton et de savoyard, pour ainsi dire. Eléments difficiles, la mer et la montagne, dira-t-il en substance, produisent des gens travailleurs. Du coup, après des études brillantes et un diplôme d'ingénieur le menant jusqu'au très prisé MIT américain, le point de départ de notre homme ne ressemble sans doute pas trop à celui de la plupart des invités présents. Mais la simplicité de l'orateur fait le travail, et emballe tout le monde. A tout le moins à en croire Abdellah Aboularjan, président de La Nouvelle PME (http://lanouvellepme.fr), et maître de cérémonie, « les échanges ont montré que ce gars qui avait un parcours différent de celui des gens présents leur parlait quand même. Qu'on ait telle formation, c'est bien. Le tempérament et les qualités humaines, c'est mieux. Un gros con plantera sa boîte, même bien formé. La personne compte plus que le point de départ. » Même si c'est plutôt le point d'arrivée de M. Fontanelle, qui, en l'occurrence, a du intéresser les jeunes pousses : CA se comptant en centaines de millions d'euros, nombre de salariés en dizaines de milliers, on en passe et des chiffres des plus étourdissants. Une réussite telle que notre homme se permettra plusieurs brefs hors-pistes idéologiques vantant les origines coopératives « communistes » d'Essilor, empreintes de l'esprit proudhonien de ses fondateurs du XIXième siècle, ou encore des saillies sur le mode « je suis de droite mais il y a de bonnes choses dans le socialisme ». Autant d'énoncés qui peuvent laisser dubitatif sur les galipettes théoriques que permet la réussite sociale, et dont le côté pour le moins inattendu peut faire penser aux fameux propos du milliardaire Warren Buffet : « Il y a bien une lutte des classes, et c'est ma classe, celle des riches, qui est en train de la gagner ».
Se prendre en main
Pas de lutte des classes à signaler ce soir au Comptoir général, ce qui aurait d'ailleurs fait tâche dans le décor très bourgeois-bohème de cette délicieuse soirée au bord du placide canal Saint-Martin ; bien au contraire, une convergence des envies. Et surtout pas mal de conseils dispensés par le mentor de la rencontre, sur la modestie et l'humilité, sur le marché local « clef du démarrage de toute activité », sur ces moments de crise qui font partie de l'économie et « qui sont la chance des petits » outsiders de doubler les grands, et « qui renforcent les leaders ». Sans oublier une jolie parabole sur ces tailleurs de cailloux qui peuvent aussi se voir en constructeurs de cathédrales, illustrant l'importance de l'imagination qui peut changer la manière de voir le monde, et faire la différence entre les tâcherons et les visionnaires.
Amen.
A ce titre, le profil des « nouveaux entrepreneurs » présents dans la salle est à l'image de ces tailleurs de cailloux visionnaires : « Ils sont optimistes, jure Abdellah, ils se prennent en main. Quand tu as vécu dans un quartier ou au sein d'une minorité, comme moi, qui pars d'un milieu au capital social quasi nul, tout ce qui peut arriver, c'est du positif. J'ai pas grand chose à perdre. Moi, au pire, je reviens à la situation initiale de mes parents. »
Le réseau sans le corporatisme
Car justement, la question du capital social est bien LA question. Comment comparer ceux qui grandissent dans un milieu leur permettant de bénéficier de tout ce qu'apportent les ghettos du gotha, aux quartiers populaires en voie de ghettoïsation actuelle ? Pas grand chose, et c'est d'ailleurs la raison d'être de La nouvelle PME autant que de ces rencontres. Abdellah : « on veut faire du lobbying sur les questions liées à l'entreprise. On pallie le déficit de réseau sociaux de ces nouveaux entrepreneurs,des jeunes des quartiers, des femmes, des ultramarins, des gens qui ne sont pas formatés pour créer au départ, qui divergent du modèle entrepreneurial classique des héritiers, Blancs, hommes, vieux... mais qui se sont pris en main. Ils partent tous avec les mêmes envies, mais quand tu n'as pas les bonnes connexions, tu as moins de chances de réussir. On s'adresse essentiellement à des TPE [Très Petites Entreprises]. On reproche souvent à la France son côté corporatiste. Nous, on fait du réseau sans être corporatistes. On ne roule pas que pour notre groupe. Par exemple, on ne lutte pas contre la disparition des zones Franches, mais pour leur remplacement par des emplois francs, pour que même les entreprises hors des zones franches puissent payer moins de charges, à condition qu’elles emploient des personnes venants de ces zones sensibles. . »
La Nouvelle PME veut ainsi postuler au titre convoité et tendance de boîte à idées, elle qui avait naguère mené des débats (parfois houleux) avec Benoît Hamon,Jean-Paul Huchon ou Rachida Dati. Elle se promet d'ailleurs de relancer ces échanges avant les élections présidentielles de 2012... Du networking au lobbying, il n'y a qu'un pas.
Erwan Ruty