
La Cité du cinéma : avec ou sans les cités ?

Avec sa future Cité du cinéma, en cours de construction à Saint-Denis, Luc Besson espère concurrencer les studios américains et anglais pour attirer sur le sol français les productions internationales à gros budget. Cet « Hollywood à la française » sera-t-il un tremplin pour les nouveaux talents issus de banlieue ? Très attendu sur le terrain du social, le réalisateur du Grand bleu, qui a tenté des initiatives ces dernières années en faveur de la diversité, reste encore mystérieux sur le sujet.
Usine à rêves ?
« Je fais tout cela pour tendre des liens. Ces cités se sentent abandonnées. Il n’y a pas de métro, pas de bus, pas de terrain de sport. Les gens vivent dans des ensembles pourris et n’ont pas de boulot. Et en plus, maintenant, ils n’ont pas le droit de se réunir dans le hall de l’immeuble. Je ne sais pas qui, à 17 ans, ne pète pas les plombs dans ces conditions. » C’était le 25 juin 2009. Dans un article du journal Le Point, Luc Besson expliquait – avec des termes maladroits – son choix d’installer la Cité du cinéma à Saint-Denis, dans le 9-3. Deux semaines auparavant, le réalisateur du Grand bleu avait organisé, dans le quartier Pleyel, une visite très médiatisée de son « usine à rêves » : une centrale thermique EDF désaffectée qui, après d’importants travaux, doit se transformer en 2012 en véritable « Hollywood à la Française », pour accueillir les productions internationales à gros budget et rivaliser avec les studios Pinewood à Londres.
Pour l’instant, on attend
Seulement voilà, si le défi économique et industriel est clair, le business plan ficelé, le pari social esquissé dans le magazine de Franz-Olivier Giesbert reste, près deux ans plus tard, toujours très flou. « Pour l’instant rien n’est structuré. On attend que le chantier avance pour avoir un contact un peu plus privilégié avec Luc Besson », affirme Laurence Dupouy-Veyrier, directrice de la culture à la mairie de Saint-Denis. Pourtant, le chantier est bel et bien avancé aux dires de Philippe Pion, direction général adjoint à la communauté d’agglomération Plaine Commune, chargé du développement économique, de l’emploi et de l’insertion. La partie gros œuvre est presque terminée et les ouvriers sont dans les temps pour livrer en mars 2012 les 62 000 m² qui rassembleront toutes les compétences de la chaîne de production cinématographique. Et ce afin de réaliser un film de A à Z, sans sortir du site.
Pour ce faire, Luc Besson a dû réunir 160 millions d’euros, financés en partie par la Caisse des dépôts et le groupe industriel Vinci, convaincre le président de la République, s’entourer pour la partie studio de partenaires de renom tels qu’Euro Media Group, le producteur tunisien Tarak Ben Ammar et choisir comme maître d’œuvre le cabinet Reichen et Robert, spécialiste de la mutation de bâtiments industriels, avec entre autres à son actif la reconversion des Grands moulins de Pantin.
A qui profitera le film ?
Un projet d’envergure qui devrait profiter économiquement à un territoire considéré comme le cluster – comprenez point d’ancrage – de la création audiovisuelle en Ile-de-France. « Cela s’inscrit dans la continuité de l’histoire. Il existe dans le département, et en particulier à la Plaine Saint-Denis, une grande concentration de studios de télévision. Pour le cinéma, il y a aussi à Epinay-sur-Seine, les studios Eclair. Dans ce sens, la Cité du cinéma représente un complément intéressant », fait valoir Philippe Pion. Sur son site internet, Plaine Commune évoque de multiples retombées locales potentiellement générées par les futurs studios du patron d’Europacorp. « Outre l'impact en terme de valorisation du territoire et de dynamique pour le quartier Pleyel, ce projet aura également des retombées économiques puisque environ 30 % du budget d’un film sont dépensées localement », lit-on.
Côté emploi, Philippe Pion met en exergue une convention signée avec Bateg, la filiale de Vinci chargée du gros œuvre sur le chantier, qui aurait permis de faire travailler une trentaine de Sequano-Dionysiens. Le futur restaurant interentreprises du site créera selon lui des emplois qui devraient profiter à la main d’œuvre locale. En matière de création cinématographique, le directeur général adjoint de Patrick Braouzec espère nouer des partenariats entre la Cité de Besson et les universités Paris VIII (Saint-Denis) et Paris XIII (Villetaneuse), selon le souhait émis par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Valérie Pécresse. Mais aussi avec le BTS audiovisuel et cinéma du lycée Suger, situé dans le quartier sensible du Franc-Moisin.
Des synergies entre universités et producteurs
Pour Georges Touati, directeur de l’Eicar, une école basée à la Plaine Saint-Denis et formant aux métiers du septième art et de la télévision, la construction de la Cité du cinéma va forcément créer « des débouchés supplémentaires » pour les jeunes du secteur. D’autant que l’ENS Louis-Lumière, la plus ancienne école de cinéma de France, située à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), y emménagera dans 8 000 m² en 2012. « C’est une aubaine formidable », se réjouit le responsable de l’établissement comptant 850 étudiants dont 8 à 9% de Sequano-Dionysiens formés à des BTS avec une possibilité de troisième année professionnalisante. « Le site de la Cité du cinéma permettra de développer des synergies entre formation, recherche appliquée et industrie, au cœur de l’épicentre de la production des images et des sons, à proximité immédiate des universités Paris VIII et Paris XIII », soulignait d’ailleurs l’ENS Louis Lumière dans un communiqué publié le 12 juin 2009 à l’occasion de la présentation du projet à la presse.
Une Cité du cinéma vitrine
Mais tout cela relève pour l’heure de déclarations d’intention. Safia Lebdi, conseillère régionale (EELV) et présidente de la Commission du film en Ile-de-France, espère que les jeunes de banlieue éventuellement embauchés à la Cité du cinéma ne travailleront pas uniquement dans le « gardiennage, la vente ou la restauration ». Pour elle, il faut davantage miser sur la création artistique. « Je connais des jeunes qui ont plein de bonnes idées mais qui se font jeter parce qu’ils ne savent pas écrire de scénario », dit-elle.
Reste à savoir comment. « Je souhaite que la Cité du cinéma ne soit pas seulement une vitrine mais qu’elle permette de développer un véritable partenariat avec les collectivités, plaide Laurence Dupouy-Veyrier. Et que cela n’écrasera pas le travail entrepris localement par Cinéma 93 (NDLR : une association représentant les cinémas publics du département) qui coordonne des dispositifs d’éducation à l’image et d’aide à la création. »
« C’est un objet structurant et emblématique qui va incarner le cluster et diffuser une image de développement et de modernité allant à l’encontre des clichés habituels sur le 93. Mais il faut aussi qu’il soit ouvert pour profiter à tout le monde et qu’il s’accompagne d’un dispositif lié à l’éducation et à la formation », renchérit Jacqueline Rouillon, présidente du Pôle audiovisuel-cinéma-multimédia du nord parisien et maire (DVG) de Saint-Ouen.
Mystère
Néanmoins, personne ne doute que Luc Besson tentera de développer un projet social autour du cinéma. Ces dernières années, le responsable d’Europacorp a été à l’origine d’initiatives à destination des jeunes de banlieue via sa fondation, comme les projections « Cannes en banlieue ». Il a été également parrainé le festival Génération court initié par l’Office municipal de la jeunesse d’Aubervilliers (Omja), tenté de tourner un film à la cité des Bosquets de Montfermeil, et n’a cessé de promouvoir des comédiens issus de la diversité dans ses productions. Mais en ce qui concerne l’ « usine à rêves » du quartier Pleyel, mystère. Contactée, sa société n’a pas donné suite à nos sollicitations. Luc Besson reste fidèle à sa réputation d’homme secret.
Ludovic Luppino