
Moins égales que les autres

Elles s'appellent Nora, Kheira, Dorothée, Anissa. Elles travaillent ou ont travaillé pour la SNCF, Arcade, Disney. Elles ont entre 25 et 40 ans. Ce sont des syndicalistes. Elles sont toutes issues de l'immigration. Et ce sont donc des femmes. Femmes, issues de l'immigration, et syndicalistes, vous avez dit ? Oui. Vous connaissiez la double peine ? Elles connaissent la triple peine. Corine Mélis, militante féministe et salariée du Planning Familial à Saint-Denis les a suivies pour sa thèse depuis 2006. Christophe Cordier, réalisateur, les a rejointes avec sa caméra. Ensemble, ils en ont fait un film, « D'égal à égales ». Soit quatre portraits remuants, tout sauf misérabilistes, de femmes bien dans leurs baskets et qui ne se laissent pas faire. 52 minutes d'air frais dans un environnement salarial sinistré. Entretien avec les auteurs dans un bistrot militant de Ménilmontant, à Paris.
P&C : Les femmes que vous montrez paraissent formidables. Le casting a été difficile ?
Corine : Le fait de les avoir d'abord rencontrées chacune à plusieurs reprises sur le long terme pour ma thèse a beaucoup aidé. On a choisi des femmes qui ne sont pas de gentilles petites nanas qui font de la couture. C'est horrible de dire ça, mais on a aussi gardé celles qui ont du peps. Il nous fallait par ailleurs une représentativité des secteurs, et des générations, des parcours. Et une représentativité syndicale aussi ! Ce n'était pas simple. On ne voulait pas non plus faire quelque chose sur la diversité. Mais sur les discriminations.
Christophe : Avec en plus l'idée d'un film-outil, utilisable par les militants. Ce qu'on a fait s'inscrit dans la durée. Il y a un processus : elles ont galéré, pendant ce temps, comme nous pour faire le film !
P&C : La question des discriminations raciales apparaît moins...
Corine : Oui. Clairement, une jeune militante dit à Anissa : « C'est girl power ! » Mais elles ne voulaient pas s'engager pour défendre des luttes spécifiquement anti-racistes, ou des femmes, mais plus globalement, de « défense des travailleurs ». Le problème du coup est plus d'être syndicaliste que femme ou issue de l'immigration. Par ailleurs, elles ont beaucoup d'anecdotes sur le sentiment de discrimination, y compris au sein des syndicats, mais ne voulaient pas en parler. Elles sont encore dedans... Mais pour elles, le syndicat reste quand même un outil d'émancipation. Ca bouscule la vision du syndicalisme gaulois à la papa, comme dit l'une d'elles !
P&C : On ne les voit que peu dans leur environnement social, privé...
Corine : Anissa [la plus jeune, qui tombe enceinte et accouche entre le début et la fin du film] synthétise toute cette question du lien entre privé et public, c'est la seule pour laquelle on évoque le privé, parce que c'est arrivé comme ça : un enfant est né etc.
P&C : Quel accueil a reçu le film pour l'instant ?
Christophe : Il n'a pas été diffusé par le milieu du cinéma documentaire, d'auteur, même si on n'a pas voulu enlever notre regard d'auteur : j'ai une formation dans le « cinéma du réel ». On a inclus des images d'archives sur la lutte des femmes au sein de Lip dans les années 70... C'est surtout dans les réseaux militants qu'il est diffusé. Dans les facs, les collectifs féministes, et même des mairies... Les réseaux s'approprient le film par des moyens « horizontaux ».
Propos recueillis par Erwan Ruty / Ressources Urbaines
Pour commander le film : http://egales.eu/index.html
Projections-débats les 17 et 18 mars à la Bourse du travail de Paris et le 25 mars à Lille (Cinéma L'Univers)