Le street marketing au service de la littérature urbaine

Le 08-02-2011
Par xadmin

Son parcours le prédisposait à ce genre d’acrobaties, entre le coup d’état littéraire, la « guérilla marketing » et l’activisme de ter-ter, au ras du bitume et la plume entre les dents. Rachid Santaki n’est pas tombé de la dernière pluie Hip-Hop, il le dit, le clame et le proclame : ce qui branche l’auteur du frais, très frais même, « Les anges s’habillent en caillera » (éditions Moisson Rouge), c’est de « chercher le public jeune sur son terrain ». By any means necessary.

Donc, tous les coups (de pub) sont permis. Pas étonnant, Rachid a été « éducateur sportif » de boxe taï. On a bien dit « éducateur sportif », pas prof. Prof, c’est pour les bourges, éducateur sportif, c’est pour t’apprendre la vie, petit scarabée des quartiers. Tous les coups, mais pas pour autant tous les coups bas. Certes, tout ça c’est un combat. De rue. Campagne d’affichage mimant le street marketing hip-hop à base d’affiches façon album de peu-ra, teasers gangrenant le web et les sites de la communauté rap, prise d’assaut de Facebook et buzz éclair sur la toile. Le gars est coutumier du fait : il a été, entre autres, rédacteur en chef et homme à tout faire de 5 Styles, son magazine Hip-Hop, porté à bout de bras pendant des années. Puis a lancé un projet de structure de street marketing. Et même un projet de journal féminin, ou encore à une époque, de site de foot. Sans même parler des assos dans lesquelles il s’est impliqué ou s’implique encore… Autant de projets que l’année compte de jours. Le tout avec beaucoup d’huile de coude, pas mal de larmes et de sueur (y compris chez ses collaborateurs !) -mais pas de sang à notre connaissance, rassurez-vous.

D’ailleurs, le public ne s’y est pas trompé : en dix jours, les 2000 exemplaires édités sont pillés. Pas comme le héros de son polar, aussi noir qu’urbain, le Marseillais, pille ses victimes. Mais de toute évidence, la communauté visée a bien été retournée ; elle attend même une nouvelle édition, 2000 nouveaux exemplaires à se mettre sous la dent. Des méthodes inédites, qui paient car le crime littéraire paie, d’autant plus que Rachid paie lui-même de sa personne : les quatre semaines d’affichage, souvent la nuit, à Saint-Denis et La Plaine, le théâtre des opérations où se déroule son opéra-caillera, c’est lui. Bientôt, le conducteur du van siglé avec la couv’ de son bouquin, qu’on verra circuler devant les bahuts du 9-3, avec descente de distributeurs de flyers pour séduire des jeunes lecteurs habituellement peu portés sur la prose littéraire, ça sera lui.* Les pochoirs sur l’asphalte jungle, encore lui.

On ne saurait dire si Rachid a plusieurs vies parallèles, ou si ses journées à lui font plus de 24 heures, mais ça y ressemble. Heureusement, elles se confondent presque toutes avec ce que raconte cet opus : « Pour moi, la littérature urbaine, que je revendique même si c’est se mettre dans un tiroir, c’est un écrit parlé, des punchlines, un style musical, un français contemporain, avec un rythme. C’est surtout la ville qui parle, qui raconte une histoire. » Et si Rachid ne se reconnaît pas dans le vocable « d’auteur de banlieue », par contre le polar social retrouve avec lui des lettres de noblesse, une street credibiliy, une identité, là où d’habitude les auteurs se revendiquant du genre semblent rester extérieurs à l’univers qu’ils décrivent, surplombants quand ce n’est pas plombants. Car Saint-Denis, il connaît. Il y a grandi, œuvré, galéré. Il en connaît les coiffeurs à 8 euros, les kebabs avec leurs « hummers » pour morts de faim, les halls obscurs et les petites joies furtives ou fulgurantes. De même qu’on peut rêver qu’un jour les architectes habitent dans les quartiers qu’ils construisent, enfin on a un auteur de polar qui vit dans l’univers qu’il dépeint. Et qui a compris comment toucher les plus jeunes : il était éducateur sportif, il est éducateur littéraire, passant le la boxe taï au pugilat plumitif. La littérature serait-elle aussi un sport de combat ?

Erwan Ruty


Entretien avec Hector Paoli, éditeur chez Moisson Rouge


Comment est venue l’idée de la campagne de communication autour du livre de Rachid Santaki ?
D’abord, notre première idée, c’était Le Syndikat. Tout ça au moment où la série The Wire passait. On voulait créer un collectif de littérature urbaine avec pour référence culturelle le « Syndicat du crime ». D’ailleurs la calligraphie du mot « Syndicat » s’inspire des tags des gangs latinos… Il s’agirait d’une collection de polars urbains, avec un site qui comprendrait une anthologie numérique avec une volonté éditoriale derrière : des textes courts, à lire sur des tablettes, des téléphones… Il y a des auteurs qui travaillent dans l’univers des polars noirs à l’Américaine, mais nous on voulait quelque chose qui se passe en France, pas une sorte de sous-polar copié sur les USA. On a finalement travaillé cette idée en même temps que le livre de Rachid. Avec une dimension musicale, une play-list, des articles de presse pour rythmer, des punchlines.

Pourquoi cette démarche ?
Notre cœur de cible, c’est les jeunes de Seine-Saint-Denis, avec leurs codes. Ca a été présenté comme un disque de rap, avec préface d’Oxmo Puccino. Du coup, on a eu énormément de chroniques sur des sites de cultures urbaines, et pas mal de bouche à oreille : street bloggeur, rap mag, cosmic hip-hop, black novel etc. Et puis après, France Culture, aussi. On s’est dit qu’on allait sortir une « série littéraire » à épisodes, un par semaine, avec essentiellement des dialogues, comme il y a des séries télé. En développant certains personnages secondaires, comme le cousin du Marseillais, une petite frappe qui drague les filles et fait des coups pour gagner un petit billet. La série est en préambule au roman. Ca amène dans l’univers, ça donne le ton. Ca doit rester quelque chose de léger, on n’est pas dans une trame narrative forte. Un blogueur nous a même aidé en proposant des textes de temps à autre, comme il y a des extras tracks sur un album. On a alors ajouté des vidéos musicales sur le site. Et puis des voix nouvelles : des habitants de Saint-Denis, des amis de Rachid, et certains personnages réels qui reviennent dans le roman. Au bout d’un moment, on a même fait un trailer.

Pour vous, c’est quoi, la littérature urbaine ?
C’est quelque chose qui est lié à la ville, à la périphérie, qui traite des limites, des frontières, d’un public marginal. On prend le langage de la rue pour le mettre dans la littérature. C’est un métissage qui enrichit la langue. Il y a une créativité dans cette langue, c’est un laboratoire, qui fait que le français ne s’est pas anglicisé. Il y a une orfèvrerie du mot, du son, un rythme de la langue. Les nouveaux vocables inventés sont intégrés dans la langue, comme dans le rap, contrairement à certains apports anglais qui sont plaqués comme dans le langage de la communication.
Propos recueillis par E.R.

• La tournée commence à partir du 26 février, dans toutes les bonnes libraires, mais donc aussi à toutes les sorties des bonnes gares et des bons bahuts.

Le site du livre : www.lesangesshabillentencaillera.fr
 

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