
93 La Belle Rebelle, une fresque musicale et engagée

Le film s’ouvre sur la scène du concert de NTM au Zenith en 98 : « La Seine Saint-Denis/ C’est d’la bombe baby / Et si t’as l’pedigree ça s’reconnait au débit » : le ton est donné. Le réalisateur militant Jean-Pierre Thorn, à qui on doit notamment l’excellent « Faire kiffer les anges » sur le Hip-Hop ou encore « On n’est pas des marques de vélo » sur la double peine, rend un hommage vibrant au département le plus pauvre de France tout en réhabilitant son image.
Du rock n’roll de papa au slam en passant par la chanson française engagée, le punk rock et le hip-hop, le réalisateur, appuyé par les associations Zebrock et Périphéries, dresse un portrait social du département à travers ses musiciens engagés. Leurs témoignages et de nombreuses images d’archives s’assemblent tel un puzzle pour retracer une histoire populaire teintée de contestation de ce territoire emblématique de « la banlieue ».
Dans un paysage musical francophone encore top cloisonné, on ne peut qu’apprécier le parallèle évident entre des scènes qui, sauf dans de rares exceptions, s’ignorent et parfois se méprisent : le rock et le hip-hop. Ainsi l’énergie brute dégagée sur scène par le « Nik ou mouk » n’est pas sans rappeler celle des Béru, 20 ans auparavant. Les connaisseurs et les anciens se rappelleront que Didier Morville et Bruno Lopez ont commencé en partageant les scènes des punk rockeurs. Une jonction qui se matérialise en image quand Casey pose ses rimes acerbes sur les rifs électriques de Serge Teyssot-Gay, ancien guitariste de Noir désir, au sein du groupe « Zone libre ».
Un regret : le manque de témoignages d’artistes Hip-Hop actuels de la Seine Saint-Denis. Sans vouloir minorer l’importance du Pionnier Dee Nasty, excellent artiste et fidèle à ses engagements, ou du Slam avant-gardiste et créatif de D’ de Kabal, le film manque d’un représentant du rap de rue qui squatte les Ghettos-blasters des cités du 9-3 au moment de la sortie du film. Même les deux « monuments » de NTM n’apparaissent qu’à travers des images d’archives. En même temps, dans le débat télévisé de 96 repris par le film, les deux larrons suintaient encore la rue tout en tenant la dragée haute à un Eric Raoult déjà plein de mépris. Des images qui, hormis un relooking vestimentaire pour suivre les codes du hip-hop toujours en évolution, auraient pu être filmées aujourd’hui tellement rien n’a changé dans les quartiers et dans leur prise en compte par les hautes sphères.
Yannis Tsikalakis