
Storytelling : quand les séries-télé s’inspirent du hip-hop

Depuis les années 2000, les scénaristes transposent la narratologie et la dramaturgie des textes de hip-hop dans les séries et autres fictions télévisées. D’Oz à La Commune en passant par the Wire et Braquo, la formule est gagnante.
«Il n’est plus possible d’écrire de la même façon depuis l’apparition des séries américaines comme The Wire ou Oz », explique le scénariste Christian Seranot, auteur des Perles du Pacifique, du Mirage du Désert et qui prépare une série choc, G, dont on devrait entendre parler. « Ces séries empruntent énormément à la culture hip-hop dans la mesure où le story telling du hip hop fonctionne sur trois niveaux. Un premier niveau symbolique, qui emprunte des références autant à la Thora qu’à la Constitution. Un deuxième niveau de références sociales, de contexte socio-économique, très elliptique et toujours au service de l’histoire (on n’a pas affaire a des sociologues ici). Et un troisième niveau narratif où le but est de feuilletonner : interactions entre les personnages, recours au cinq règles de Greimas [linguiste lithuanien]. » Ainsi, dans La Commune, les plans sont quasi tirés à la mitraillette, précis, chirurgicaux (cut up), et chaque personnage lâche une savoureuse formule (punch line). Cette dernière peut être visuelle. Exemple : le pharaon cocaïne dans OZ qui lâche un hymne salvateur à la décadence…
Si le cut up a été mis au point par William Burroughs dans ses premières « routines » littéraires, les rappeurs n’ont pas tardé à le perfectionner. Comme Jourdain faisait de la prose sans le savoir, les rappeurs ont toujours utilisé les 5 commandements de Greimas. Un rappeur comme Slick Rick, par exemple, raconte des histoires de rue en utilisant moult procédés elliptiques, punch lines (formules percutantes) et cut up (montage elliptique ultra nerveux) Et les scénaristes comme Richard Price ou Georges Pelecanos de bâtir des épisodes complexes autour d’une recette simple, empruntée à Greimas, et mise à la sauce « urbaine ». Voici les 5 commandements de Greimas ; situation initiale : Jacques sort de prison. Il veut se ranger des voitures. Élément perturbateur : Des anciens amis de Jacques lui proposent un coup. Péripéties : Jacques prépare le casse, sa copine est séquestrée, les flics le traquent. Résolution : Le casse est un foirage total mais Jacques sauve sa copine des griffes du gang. Situation finale : Jacques retourne en cabane, et sa copine attend un enfant.
Dafri, le scénariste de la Commune, utilise tout le temps Greimas. Ainsi, La Commune est fortement inspirée de la série US culte OZ, elle-même inspirée d’un million de chansons carcérales scandées par des rappeurs en liberté conditionnelle ou sur le point de la violer, avec un PO (probation Offficer) toujours prêt à la ramener. « Un épisode de La Commune est bâti un peu comme un clip de hip-hop, explique C. Seranot. Dans un clip, en quatre minutes maximum, tu dois raconter une histoire crédible, donc tu as recours à l’ellipse, au flashback, à la focalisation interne. » Braquo d'Olivier Marchal, est librement inspiré de The Shield, la série suintante de testostérone et de smog angéleno avec pour anti héros le très corrompu Vic Mc Cay, du LAPD. Et cette série reprend globalement la trame narrative de plus de 20 ans de rap californien. « Les scénaristes américains rendent hommage à leurs inspirateurs en écrivant toujours un rôle pour un artiste hip-hop, comme Method Man, Fredro Starr, Sticky Fingaz. » En France, Joey Starr fait un caméo (une apparition) dans la série Mafiosa, dont les codes narratifs font penser à l’iconographie et au folklore maffieux développée par Akhenaton dans le superbe Echec et Mat. Dans le diptyque Mesrine, Richet, le réalisateur, issu de la culture hip-hop, n’hésite pas à clipper une scène « d’ascension sociale » avec en fond sonore un classique de GrandMaster Flash. Le titre, The Message, évoque la nécessitée de se procurer le fameux kit de survie, quand on vit dans le ghetto. Mesrine, quant à lui, ne venait pas du ghetto (pas vraiment non) mais le personnage Mesrine sénarisé par Dafri devient une espèce de paria arriviste, peut-être le Tony Montana français ? Qui sait ? La narratologie hip-hop a sans aucun doute influencé la façon dont les scénaristes « urbains » écrivaient leurs histoires. « Et le phénomène va s’accentuer de plus en plus…Le format série est devenu incontournable, et en France les jeunes auteurs urbains vont de plus l’investir, avec leurs propres références musicales, souvent faites de musiques dites urbaines."
Karim Madani - Ressources Urbaines