
Gardiens de la paix et fauteurs de guerre - Ressources urbaines

« La trop grande sécurité des peuples est toujours l’avant-coureur de leur servitude ». Cette prémonition, qu’on pourrait proposer comme sujet de réflexion pour le Bac philo 2011, a été énoncée par Marat, le révolutionnaire de 1789.
Si on veut être sûr d’avoir une bonne note à cet examen, on dira aussi que dans les théories qui sont au fondement de la société contemporaine, le peuple confie au pouvoir le « monopole de la violence légitime » pour assurer le bien-être des citoyens, et ainsi mettre un terme à la guerre de tous contre tous. Mais qu’advient-il quand le pouvoir déclare la guerre à certaines catégories de ses citoyens ? Il risque de perdre toute légitimité. Et de s’effondrer. Gageons que dans certains cas, ce pouvoir, tellement attaché à sa propre préservation et à celle de ses propres intérêts, préfère que la société toute entière s’effondre en même temps que lui, en se disant : « Après moi, le déluge ».
Car c’est bien le déluge que nous promet Nicolas Sarkozy, depuis qu’à Grenoble, le 30 juillet, il a déclaré la guerre « à l’insécurité » et à la délinquance, notamment. Déluge de fer et de plomb durci ? En tout cas, tel qu’avancé, l’argumentaire mêlant les « délinquants » qui s’en prennent aux forces de l’ordre, les Roms, les droits sociaux « trop étendus » des étrangers en situation irrégulière, et le « chômage trop élevé » des étrangers « non communautaires » (c.a.d hors UE, donc des gens forcément responsables de leur situation !), tout cela avait un petit goût de bouillie poujadiste pataugeant dans les pires eaux de vaisselle usagée du café du commerce.
Pourtant, rien ne se changera. Ni repentance présidentielle, ni départ de M. Woerth ; ni même de Brice Hortefeux, Ministre de l’Intérieur de la République, et à ce titre Premier Gardien de la Paix de France, pour qui nous avons une pensée alors qu’il a été condamné pour « injure raciale » depuis 91 jours et n’a toujours pas (été) démissionné.
Dans ce contexte, comment ne pas s’étonner que quelques mesures positives prises ces derniers mois aient été écrasées par l’actualité désastreuse des violences urbaines et des réponses sécuritaires ? Car il y aura extension de la notion de discrimination liée au lieu d’habitation dans l’accès à l’emploi, ce devrait en tous cas être proposé dans la prochaine loi sur l’immigration de septembre 2010 (décision sans doute accélérée par la plainte déposée par la Mairie de La Courneuve en mai 2009 devant la HALDE, et par les mesures de testing importées en France par SOS Racisme) ; il y aura alignement intégral des pensions des retraités de guerre étrangers sur celles des retraités militaires français ; il y aura aussi réforme après la censure du régime de la garde à vue, jugé inconstitutionnel car trop lâche –d’où les 790 000 G.A.V en 2009, contre 130 000 en 1993 !- (ces deux dernières mesures ayant été imposées par la Conseil Constitutionnel) ; il y aura enfin extension du RSA aux moins de 25 ans (sous condition toutefois d’avoir travaillé deux ans dans les trois années précédentes !). Encore un effort, et nous reviendrons bientôt en démocratie !
Reste, pour revenir au Bac, une question d’ordre pédagogique : dans un contexte aussi cafardeux, comment ces quelques mesures salvatrices peuvent-elles redonner espoir aux millions de Français qui, dans les quartiers, se sentent chaque jour plus reclus, plus précaires et plus cloués au pilori ?
Erwan Ruty - Ressources Urbaines