
Pouvoirs recherchent clash désespérément

A Grenoble, du 18 au 20 juin dernier se tenaient, à l’invitation de Libération et du Nouvel Obs, trois jours de débats intitulés « Les Etats Généraux du renouveau ». Renouveau de qui ? De quoi ? De la gauche, bien sûr ! Et surtout de la gauche morale, qu’on avait peut-être enterrée un peu trop tôt.
Tenez-vous bien : pas moins de 87 débats, 300 experts ès renouveau et ès gauche, avec tout ce que cette dernière compte de cercles, d’associations para-institutionnelles, de clubs de réflexion, de chercheurs et de responsables autorisés à représenter… la gauche. Sur tout ce beau monde, dans cette foultitude de thématiques, beaucoup de choses passionnantes et sur lesquelles il est indispensable de réfléchir. Mais les « banlieues » ? Les « quartiers » ? Pas un mot. Aucune table-ronde n’y est consacrée. Pas une seule association de quartier invitée. Tout juste a-t-on osé un débat « Droit à la différence dans l’indifférence » (sic !), et un autre : « La diversité dans l’accès aux responsabilités sociales ».
A Grenoble toujours, dans la nuit du 16 au 17 juillet, soit un mois plus tard, ni plus ni moins, la quartier de la Villeneuve s’embrasait, après la mort d’un jeune délinquant qui oscillait entre ce quartier où règne plus de 40% de chômage chez les jeunes, et le petit banditisme (qui rêve sans doute de devenir grand dans cette ville base de repli des mafia du Sud-Est de l’hexagone).
Tant que la gauche institutionnelle, médiatique, associative, syndicale et partidaire continuera à s’asseoir sur les quartiers, il ne faudra pas s’étonner que les âmes perdues de ceux-ci lui bottent le train, comme elles l’ont fait pour le brave maire PS de Grenoble, Michel Destot.
A chaque fois, les populations de ces quartiers, impliquées malgré elles dans des événements de plus en plus violents et incontrôlables, se lamentent de l’abandon dont elles se sentent victimes, et du sentiment d’être collectivement placées entre le marteau et l’enclume. Terreau hautement inflammable qui prédispose à toutes les attitudes victimaires de la part d’une jeunesse qui se voit bientôt contrainte de cautionner et participer aux émeutes quelle que soit leur cause… ou de se taire avant de quitter ces quartiers où deux mondes vivent en parallèle.
En face, depuis quelques semaines, le gouvernement prépare le retour de bâton, avec un Brice Hortefeux (toujours sous le coup d’une condamnation pour « injure raciale ») qui s’apprête à donner le meilleur de lui-même dans le rôle du père-fouettard, et un Nicolas Sarkozy qui mijote un retour en force pré-élections présidentielles sur le fameux thème de la sécurité, le seul sur lequel il puisse encore montrer ses muscles façon « Expendables » (quel que soit son bilan en la matière depuis 5 ans).
Dans ce jeu de rôle qui va mal tourner, la gauche sera une fois de plus spectatrice, ou se retrouvera de fait complice des pouvoirs étatiques répressifs : elle a déserté le terrain d’une action sociale, locale, une action de proximité qui pourrait être vue comme crédible aux yeux de la jeunesse. Tout en restant plus que jamais maîtresse des pouvoirs et institutions locales (départements, régions, et mairies de grandes villes bien souvent). Et donc garante de leur bon fonctionnement, ainsi que de la sécurité, la légalité et la continuité de l’ensemble des services publics mis à mal par la délinquance, l’économie et la « société parallèle » qui en découlent. Gageons que la frilosité de cette gauche, son manque de compréhension de ces phénomènes et que les classes sociales dont elle est issue feront d’elle une alliée de poids pour tous les « retours à l’ordre » possibles.
Dans ce cadre-là, et même s’il faut se méfier des raccourcis faciles, n’hésitons pas à rejeter un coup d’œil sur cet ouvrage de Gérard Noiriel intitulé « Les origines républicaines de Vichy ». Où l’on verra que l’Assemblée qui avait porté le Front Populaire en 1936 avait promulgué bon nombre de lois ouvrant un boulevard aux mesures du gouvernement de Vichy, le tout dans une ambiance idéologique favorable, un certain « air du temps ».
En 2010, à la mi-août, au moment où Brice de Vichy assure l’intérim présidentiel estival sur tous les fronts télévisuels et sur tous les terrains chauds potentiels, le même Nouvel Obs qui avait sévi à Grenoble nous gratifie d’un opportun numéro spécial « Bien dormir ». Dormez tranquilles, brave gens, Brice veille.
Erwan Ruty - Ressources Urbaines