
La politique "Made in quartiers", est-ce que ça existe ? - RU

« En banlieue, on a souvent une vraie conscience politique, mais on ne le sait pas toujours », assure Mohamed Mechmache. C’est ce que constate le président d’AC le Feu depuis les deux tours de France du collectif en 2006 puis 2007. Pour ceux qui ont plus qu’une conscience politique mais l’envie de s’engager, l’entreprise est très difficile. Entre manipulation, instrumentalisation voire mise à l’écart, à qui profite le jeu en politique ?
Les Motivé-e-s de Toulouse ont tenté l’expérience… L’histoire avait d’ailleurs bien commencé. Elections municipales de 2001. Des jeunes cools et issus des quartiers populaires proposent une liste totalement indépendante, médiatisée grâce à Majid, chanteur du groupe Zebda. Au 1er tour, ils obtiennent 13% des voix. Ils peuvent ainsi négocier une liste commune au second tour avec le PS, le PC et les Verts. Mais c’est l’UMP qui conserve la mairie. « Nous avons obtenu quatre place de conseillers municipaux dans l’opposition » raconte Salah Amokrane, 44 ans, membre fondateur des Motivé-e-s. « Durant ces sept années de mandat, j’ai beaucoup appris. Mais dans l’opposition la marge de manœuvre est très réduite. » 2008, nouvelles élections municipales. Le groupe s’est éparpillé… Les Motivé-e-s sont obligés de partager une liste avec la LCR et le collectif anti libéral. Mais cette fois, ils ne parviennent même pas à passer le premier tour. Que s’est-il passé ? « La politique c’est très compliqué, avoue Salah Amokrane. C’est très difficile de perdurer dans le temps dans un mouvement autonome, hors des circuits traditionnels… » Et d’arriver à s’imposer face aux grands partis. Aujourd’hui, le groupe des Motivés n’existe plus en tant que tel. Résultat, les militants les plus pressés se laissent séduire par les grands partis nationaux.
Ces derniers draguent régulièrement ces figures issues des quartiers. Majid le chanteur des Zebda a soutenu la liste PS lors des élections de 2008… Nordine Iznasni membre actif du FSQP (Forum Social des Quartiers Populaires) siège aux côtés de la majorité communiste au conseil municipal de Nanterre, sans être encarté pour autant. Quant à Mohamed Mechmache, il a été approché par le PC. On lui a offert la place de numéro 2 de la liste des Régionales 2010. Juste derrière Marie Georges Buffet. «J’ai refusé. Il faut arrêter avec cette logique personnelle. On veut faire avancer nos idées, pas nos carrières ! » Même son de cloche pour le membre fondateur des Motivé-e-s. « J’ai de la considération pour les socialistes ou les communistes, certains sont des amis. Mais on doit rester indépendants surtout vis-à-vis du PS. Depuis l’instrumentalisation de la marche des beurs, ceux de ma génération ont une sorte de contentieux avec ce parti. » Naguib 46 ans, membres du MIB, (Mouvement de l'immigration et des banlieues) et du FSQP ne décolère pas. « Le PS est un parti colonialiste et sioniste ! SOS racisme n’a été qu’un outil pour faire émerger Malek Boutih, Julien Dray ou Fodé Sylla ou … ». A ces critiques, Malek Boutih, membre du bureau national du PS répond que « ces militants associatifs croient souvent au mythe de la purification. Mais sont-ils si purs que cela eux même ? Un parti parfait, cela n’existe pas ! Souvent ils se donnent une sur-légitimité car ils viennent de banlieue. Mais on n’a pas besoin de porte parole tout simplement car la banlieue n’est pas une masse homogène. On peut être de banlieue, arabe et voter Sarkozy ! ». Pour Mohamed Mechmache, ces personnalités devenues responsables politiques au PS « sont allées à la gamelle ». « Le PS ne s’intéresse pas aux quartiers populaires en réalité ! Pour nous la question de l’emploi des jeunes, de leur accès au logement c’est la priorité ! » poursuit Naguib. Mais ces « priorités », malheureusement restent lettres mortes. Après des années de lutte, ces militants associatifs demeurent à l’écart des responsabilités. « Quant on veut s’engager et devenir un élu, il vaut mieux intégrer les grands partis. C’est plus difficile dans des groupes politiques marginaux… Avoir des cadres représentatifs c’est très important pour tous les partis. Et dans quelques années, tous les jeunes de banlieue qui sont très actifs localement vont exploser. Ce n’est pas parce qu’on ne les voit pas encore à la télé qu’ils ne sont pas en train de monter… », avance Malek Boutih.
A l’heure du bilan sur l’aventure des Motivé-e-s, Salah Amokrane pense au contraire qu’on peut devenir élu. « On est fiers d’avoir au moins pu montrer que tous le monde peut s’engager et devenir élus. On est content de voir émerger par exemple des conseillers municipaux issus de groupes indépendants comme Emergences ou Génération Engagée…». Ces conseillers municipaux ont en fait réussi à s’imposer dans les listes de grands partis, en gardant leur étiquette. Et dans ce cadre n’y aurait-il pas de récupération ? « On juge au cas par cas. Cela dépend des programmes, des personnes mais surtout des garanties qu’on nous donne », commente le président d’AC le Feu. Ces groupes indépendants ont tous un point commun. Le FSQP. Ce collectif qui organise régulièrement des forums de discussion dans toute la France a l’ambition de fédérer toutes ces énergies nées dans les quartiers. « Nous travaillons avec les Motivé-e-s, des associations de Vaulx-en-Velin, de Creil ou de Goussainville… Nous sommes nombreux et dans toute la France » explique Mohamed Mechmach. Le FSQP prépare la rédaction d’une charte qui réunirait toutes les forces vives des quartiers. « Ce ne serait pas un parti mais un mouvement qui formerait des élus, qui proposerait des listes », explique Naguib. « Nous avons bien compris la leçon. Pas d’instrumentalisation des militants de banlieues par les grands partis ! On peut travailler avec eux, mais en imposant nos conditions » poursuit Mohamed Mechmach. Le mouvement veut en clair établir un rapport de force. En effet, les jeunes abstentionnistes issus des quartiers populaires sont nombreux. « N’oublions pas les révoltes de 2005 et 2006, l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 qui n’est pas du tout populaire dans les quartiers ». L’officialisation du mouvement est prévue dans huit mois. Mais les relations entre les associations de France ne sont pas encore institutionnalisées. Salah Amokrane n’est pas dupe. « Ca va être dur et long, mais il faut prendre le temps. On doit avoir nos propres expériences, nos propres références ! »
Mérième Alaoui - Ressources Urbaines