
Médias – Banlieues : comment dépasser la fracture médiatique ?

La France ne cesse de se découvrir de nouvelles fractures. Il existe une fracture médiatique, qui montre qu’au-delà du périph, la justesse de la représentation du quotidien des habitants est bafouée par les médias.
Longtemps les médias et les banlieues se sont regardés en chiens de faïence. Si la question de l’islam ou celle de la situation des femmes défrayait déjà épisodiquement la chronique au-delà des habituelles rubriques « faits divers », « police » ou « justice », on ne pourra cependant nier que les médias s’intéressent autrement aux quartiers populaires… depuis les émeutes de 2005, notamment via la question très à la mode de la « diversité ». Mais le bitume des banlieues a trop brûlé sous les gyrophares de la police et les flashs des caméras voyeuristes : la plupart de leurs habitants n’aiment pas les journalistes, pas plus que les policiers. En confondant liberté d’expression et irresponsabilité éditoriale, trop de médias versent dans les « Unes » tapageuses, les reportages embedded depuis un fourgon de police ou les enquêtes en caméra cachée. Ce sensationnalisme aux retombées commerciales incertaines n’est pas étranger à la relégation qui frappe la parole des quartiers populaires. Aux uns les outils de la démocratie, aux autres le silence obligé ou la « consultation des habitants » développée par une politique de la ville peinant à sortir de ses travers technocratiques. Cette polarisation contribue au déficit abyssal de représentation d’une gigantesque fraction du corps social français.
Relégués aux périphéries du meccano démocratique, les habitants des banlieues ont appris à prendre la parole de manière anticonformiste : le militantisme, la verve des rappeurs, les poussées de colère des plus jeunes… et les médias nés en réaction aux récits qui se sont construits sur les quartiers, mais jamais avec eux. Vu d’Ici, Radio HDR, Ressources Urbaines, Grigny Wood ou Med’in Marseille sont quelques unes de ces prises de parole. En ouvrant les ondes à la parole des habitants, en animant des ateliers d’écriture ou en abusant de la vitalité du web, ces médias nés en banlieue n’ont pas seulement tenté l’instauration d’un rapport de force dérisoire avec la noria d’images et de mots qui forgent les représentations de chacun sur les quartiers et leurs habitants. Ils inaugurent aussi un renouveau du journalisme à l’heure ou la presse convoque à son chevet les plus hautes instances pour trouver un remède à sa crise. Bien que soumis aux aléas d’un modèle économique fragile, les médias des banlieues ont largement expérimenté sur les thèmes de l’information de proximité, la contribution des habitants, la démocratie locale, le rôle social du journaliste… Alors que la crise des médias se pense davantage en termes économiques et de surenchère technologique, ces perspectives augurent probablement d’un nouveau qu’il ne faudrait pas ignorer.
En organisant une rencontre le 13 octobre à la Villette, l’association Presse & Cité tente d’organiser et de faire entendre ces médias singuliers des autres médias et des institutions qui devraient les considérer comme autant d’expériences constructives, d’actions citoyennes au niveau local, comme autant d’espaces de formation pour ceux qui ne peuvent pénétrer le très élitiste milieu des écoles de journalisme, et comme autant de relais de proximité pour une presse en manque de repères, de crédibilité et de public dans les banlieues. Les quartiers populaires et leurs 10 millions d’habitants ne peuvent être un marronnier facile pour des rédactions en difficulté financière et souvent prisonnières de leurs représentations. Les journalistes, sur le modèle de ces médias des quartiers populaires, devrait également ne plus jamais faire abstraction des destinataires de leur travail : tout à la fois consommateur, personne à respecter et citoyen à informer. Tout reste à faire, il n’est pas trop tard.
Farid Mebarki, Président de l’association Presse et Cité
Erwan Ruty, directeur de Ressources Urbaines, l’agence de presse des quartiers