« Diversité » à gauche : trente ans de malaise ?

Le 18-09-2009
Par xadmin

Nicolas Sarkozy fait volontiers rimer ouverture à la diversité avec « ouverture à gauche ». Et à gauche ? On semble accuser le coup. Bally Bagayoko, avec son petit côté « Obama du 9-3 », est le seul élu noir (apparenté communiste) du  Conseil Général de Seine-Saint-Denis. Un département populaire s’il en est où pourtant la population originaire des Antilles et d’Afrique noire est surreprésentée et où la gauche domine la politique depuis la seconde guerre mondiale. Incongruité ou exemplarité d’une situation d’échec caractéristique de la gauche dans les quartiers populaires ?

Deux questions posées à Bally Bagayoko, vice président du Conseil Général de la Seine-St-Denis chargé des nouvelles technologies de l’information.

P&C : Comment expliquez-vous que vous êtes le seul français noir au conseil général de la seine St Denis, sachant que ce département est très cosmopolite ?
B.B : Tout simplement pace qu’en France nous sommes en retard dans la représentation que donnent nos institutions de la diversité française. Mais ce n’est pas seulement vrai pour la couleur de peau, c’est vrai aussi de la représentation des femmes, où à l’assemblée nationale leur nombre dépasse à peine 20 %. Mais c’est vrai aussi de la représentation des milieux populaires, ouvriers et employés. Aujourd’hui le parlementaire-type a plus de la soixantaine, est un homme, blanc et d’origine sociale moyenne voire haute. Et ça tient à une seule raison : la reproduction des élites. Les mêmes qui dirigeaient le pays il y a 40 ans continuent à en détenir les clés. Regardez les Debré, les Dassault, et les autres ! Dans ces conditions, les perspectives restent fermées pour les Français issus de l’immigration, dont le capital social des parents est inexistant dans ce pays qui n’était pas le leur à l’origine. Les gens comme moi ont donc tout à construire, sans pouvoir s’appuyer sur les pistons de Papa et Maman. Et tant que les élites d’hier se reproduisent, les portes restent fermées pour les autres. »

Pourquoi la gauche a perdu la confiance des gens des quartiers populaires?
On ne peut poser la question ainsi, même si je peux comprendre que la gauche a déçu car elle n’a pas répondu aux attentes des habitants des quartiers populaires, mais plus largement de tous ceux pour qui les choses doivent changer car ils soufrent de la politique actuelle;
Ce qui pose à mon avis 2 problèmes : la Gauche, au-delà de ses divisions, doit avancer des propositions alternatives dont les gens penseront qu’elles sont vraiment de nature à améliorer leur vie. Il y a un gros travail à faire notamment pour trouver de nouvelles formes pour intervenir dans le champ politique.
Non adhérent moi-même à un parti, je souhaite y aider, mais la réponse, forcement nouvelle, viendra des citoyens eux-mêmes.

 

Pourquoi si peu de diversité à gauche ?

Juste après la fameuse « marche des beurs » (en fait « Marche pour l’Egalité ») en 1983, les analystes et les associations ont eu pour la première fois l’espoir que la gauche traditionnelle, le PS en particulier, prenne à bras le corps cette question fondamentale de la représentativité des jeunes issus de l’immigration (selon l’expression consacrée). On fête maintenant le 25ème anniversaire de cette marche, de manière vindicative parfois (confère la rencontre organisée sur le sujet par les Indigènes de la République le 25 novembre 2008). Où en es-t-on du mélange que les marcheurs évoquaient naguère, pour « faire avancer la société comme les mobylettes » ?

Incapacité à mobiliser
Pour Olivier Masclet, chercheur et auteur de la Gauche et les Cités, l’échec de la gauche à la fois structurel et conjoncturel. Longtemps convaincue de sa « proximité » avec les immigrés, elle n’a pas su anticiper les mutations sociales et culturelles qui affectaient la nouvelle génération. Elle n’a pas non plus su « intégrer » cette génération dans un circuit politique et social cohérent et émancipateur. Alors échec total à gauche sur la question ? « Je ne parlerais pas d’échec mais d’une incapacité à mobiliser électoralement et politiquement les habitants des cités. Cette incapacité est à mettre en relations avec de nombreux facteurs : c’est d’abord la montée du front national sur la scène politique, tout au long des années 80 et 90, qui va jouer comme un frein dans la reconnaissance des « militants de cité ». Il est incontestable que le PS et le PC, dans un contexte d’érosion de leur électorat et de peur de les voir glisser à l’extrême droite, vont refuser de mettre en avant des militants originaires des familles de l’immigration. Ce frein a joué jusqu’à la fin des années 90, mais de manière de moins en moins puissante, au rythme de la perte d’influence du FN dans les quartiers. Autre facteur de blocage : la lutte interne pour l’occupation des postes en politique. Dans les grands partis de gauche, cette lutte est impitoyable et il faut disposer de ressources élevées, notamment scolaires et en termes de relations utiles, pour se hisser aux positions éligibles. Un militant de cité est barré dans sa conquête du pouvoir d’abord par ses origines sociales, son petit diplôme, sa maîtrise imparfaite des codes propres aux classes moyennes qui dominent la vie politique au PS et au PC » explique Masclet.

Courir après la droite
Beaucoup de jeunes hommes et femmes politiques ont pourtant sauté sur le train en marche, à la recherche d’un espace politique ou exister et s’émanciper. Une belle plate forme politique… pour des carrières politiques souvent avortées. A l’exemple d’un Malek Boutih, parachuté par les socialistes dans une région ou il n’avait aucune chance d’être élu, malgré une implication de longue date dans les coulisses de l’appareil socialiste. Peut-être le prix à payer pour avoir surfer sur un discours de droite sécuritaire. Alors, quand la gauche court après la droite, va-t-elle droit dans le mur ? La gauche est tombée une nouvelle fois dans le piège de la droite en entonnant à son tour le refrain de la « diversité ». Elle court après la droite qui donne des signes apparents d’ouverture aux « minorités visibles » sans voir que le problème fondamental auquel les gens des quartiers sont confrontés c’est d’abord celui du chômage, de l’échec scolaire et de l’absence d’avenir. La gauche contribue de cette façon à « racialiser » la question sociale en faisant comme si « la discrimination raciale » était la cause première de la dégradation de la vie dans les quartiers. Or comme le montre bien Walter Benn Michaels dans La diversité contre l’égalité, la première joue contre la seconde toutes les fois où l’on occulte la dimension de classe des problèmes vécus. La droite joue son rôle en évacuant la question des classes sociales (question qui imposerait une fiscalité plus équitable et une politique salariale plus redistributive). Finalement, c’est ici que se donne à voir le « malaise » du PS et du PC.

Question sociale, question raciale
Pour autant, la diversité ne doit pas être minorée. Selon François Durpaire, historien spécialiste des questions de diversité et auteur de Enseignement de l’histoire et diversité culturelle : nos ancêtres ne sont pas les gaulois, la Gauche « n'est pas configurée pour penser les problèmes spécifiques des quartiers. Son logiciel n'intègre que des données sociales - qui sont certes très importantes, mais qui ne sont pas suffisantes pour comprendre la question des cités. La loi contre le port du foulard à l'école est un exemple précis qui montre que l'opposition gauche droite n'est pas valide lorsqu'il s'agit d'assumer ou non une République multiculturelle. Il faut rappeler que les filles en question disaient : "Nous sommes françaises et musulmanes" tandis que certaines de leurs camarades se disaient "algériennes" ou "marocaines" même quand elles étaient nées en France. C'est dire qu'il y a eu là une occasion ratée de leur montrer qu'effectivement la nationalité française pouvait coexister paisiblement avec l'attachement à une croyance religieuse. Accepter cette visibilité là, y compris à l'école, aurait été un symbole très fort, et très positif. » Fadela Amara, secrétaire d’Etat sous le gouvernement Sarkozy, a rejoint les rangs du sarkozysme, déçue par l’attitude de la gauche, qui selon elle, ne donnait pas véritablement leur chance à des jeunes politiciens issus des quartiers. Une gauche qui a longtemps été incapable de saisir la problématique des « minorités visibles » dans son essentielle substance, folklorisant ce mouvement.

Construire la France avec tous ses enfants
« La gauche n'a pas compris que les élections à venir se joueront sur cette question de savoir si l'on construit la France avec tous ses enfants. Elle s'est montrée incapable de penser le mouvement de novembre 2005. »
Le problème que pose Masclet est crucial. Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes des « minorités dites visibles » votent à droite, convaincus à tort que les partis de droite sauront être a l’écoute et satisfaire leurs revendications. L’UMP, plus malin que l’on aime à penser, a su justement profiter de l’incurie du PS et de son incompétence en matière de politisation des quartiers et de formation de nouvelles élites politiques. Un calcul stratégique (l’atomisation de la gauche en jouant la carte de l’ouverture) qui a permis l’arrivée de Rachida Dati au poste de Garde des sceaux, chose impensable sous un gouvernement socialiste. De même que Rama Yade, Fadela Amara ou Azouz Beggag, qui s’est très vite brûlé les ailes dans ce petit jeu de chaises musicales. Pour ce qui est de Dati et Yade, on a très vite compris que leur capacité d’expression ainsi que leur marge de manœuvre au sein du gouvernement était extrêmement limitée. Certains d’entre eux vous diront qu’entre cette posture factice mais lambrissée (salaires de ministres, voiture de fonction et garde du corps) et le parachutage de Malek Boutih en terrae incognitae, le choix n’a évidemment rien de cornélien.

Jimmy Hoffa
 

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