
93 INFLUENCE : ILS RÉINVENTENT LE TERRITOIRE !

Le 93, Armel Mombouli le connaît comme sa poche. Arrivé dans les années 70, il figure un témoin privilégié de son évolution. Très actif dans la ville de Clichy avec son association Vox Populi, il s'intéresse aux populations issues de banlieues et analyse les changements se dessinent pour la Seine-Saint-Denis. Si son constat s'avère un peu amer, il ne peut nier son attachement particulier à celui-ci, ni l’influence qu’il exerce sur les autres territoires de France. Discussion sans langue de bois avec cet enfant du 93 devenu grand.
Bonjour Armel Peux-tu te présenter ?
Je suis Armel Mombouli, j’ai 47 ans. Je suis natif du Congo Brazzaville et j’ai grandi à Clichy-sous-Bois Montfermeil. J’ai habité dans le 93 plus de 25 ans et je l’ai quitté dans les années 1990-2000.
Trouves-tu que ton environnement a changé socialement, économiquement, culturellement ?
Justement avec autant de temps passé dans 93, j’ai pu voir son évolution. À l’époque, peu importe tes origines ethniques, sociales ou religieuses : tout le monde ne faisait qu’un ! Même s’il y avait des tensions, ce n’était pas des tensions liées à une communauté, c'était plutôt lié au fait qu’on se découvrait les uns les autres. Et une fois, cette découverte effectuée, on était unis. Une fois revenu à Montfermeil, après les émeutes de 2005, j’ai constaté qu’il n’y avait plus cette mixité que j'avais connue. C'était maintenant une organisation communautaire. Ce fut comme une claque, dans la mesure où lorsque je parle de la banlieue du 93, je l’associe à une série que l’on appelait “HAPPY DAYS”. On était heureux, on partageait beaucoup avec 3 fois rien. Et après 2005, nous sommes rentrés dans une ère où l’État a décidé d’investir dans la Seine-Saint-Denis. Il a aménagé de nouveaux espaces, de nouveaux équipements, salles de sports, piscines, etc. Néanmoins, je n’ai jamais senti les gens aussi tristes et perdus.
Selon toi, le communautarisme est la plaie du 93?
Oui, carrément ! C’est-à-dire qu’aujourd’hui, si l’on prend une personne qui quitte son pays d’origine, finalement il ne sera pas dépaysé. Or, lorsque nous sommes arrivés, on avait le bagage culturel et les codes à acquérir pour intégrer la société française. Aujourd’hui, il n’y a plus ce décalage, cet effort à faire.
Quelle est la différence entre 93 et les autres départements ?
Je dirais que ce fut un temps l'identité du 93 avec ses bons et ses mauvais côtés. Mais la situation s’est tellement dégradée que ce que l’on pouvait reprocher au 93 s’est répandu à travers le pays. Il n’y a qu'à voir les infos. La question du voile, de l'identité nationale, ce sont des questions abordées au niveau national. Qu’est ce qui a fait que les choses ont changé ? Moi je dirais que c’est le mélange de beaucoup de choses. Tout d’abord le pays d'accueil qui n’a pas conçu correctement l’accueil. On a fait venir des gens pour construire la France et on n’a pas su les faire rester en les intégrant dans le système avec la bonne logique. Selon les termes utilisés par Manuel Valls, ex-premier Ministre du gouvernement du président François Hollande, Il y a eu une “Apartheid Social”. On a construit des cités ouvrières dans le 93. Avec la croissance économique de l’époque, ce sont les familles d’immigrés qui sont venues loger dans ces cités. Dès lors, les bailleurs et l’État ont considéré qu’il n’y avait plus besoin de construire à ces endroits ; il y avait des gens “law cost” avec un niveau de vie “law cost”, donc pas besoin d'entretenir. Ils n’ont pas vu qu’avec moins d’investissements dans l'éducation, une dégradation des parcs immobiliers en plus de la question de l’immigration, tout ça était un cocktail explosif pour la société et l'identité française dans le futur. Et le 93 fut le premier département à exploser. Je sais que je dresse un constat assez sévère du 93. Mais comme j’y ai vécu des jours heureux, je reste optimiste. Je considère que la situation est grave mais pas désespérée.
Ton association est basée en Seine-Saint-Denis ; comment se passent vos actions dans le 93 ?
J’ai créé Vox Populi en 1999 à Clichy-Montfermeil, initialement pour faire du soutien scolaire. On voulait aider les amis, les petits frères et sœurs des alentours. Nous avions fondé nos actions sur la question de l'éducation et en 2015, il y a eu Charlie Hebdo, puis les attentats du Bataclan. Depui, on a renforcé nos programmes sur la radicalisation.
Ce qui m’inspire dans le 93 c’est d’abord la SOLIDARITÉ. Le 93 est l’un des départements le plus pauvre de France mais paradoxalement, l’absence de structures, fait que malgré ce manque les gens s’entraident par solidarité. Tes parents ne sont pas là, tu vas chez la voisine sans soucis ! On n’a pas eu à voyager pour découvrir le monde et ça, c’est une extrême richesse.
Il se dit que le 93 est le laboratoire de la France de demain : qu'en penses-tu et pourquoi ?
Le 93 est un laboratoire qui, s’il est bien orienté, peut être une véritable opportunité pour ce pays. Parce que dans un monde global, on a besoin d’avoir des gens capables de s’adapter à toutes les situations : aux échanges, au brassage culturel, aux traditions et différentes religions... et le 93 à tout ça ! Un pays doit savoir s’appuyer sur une telle force pour, par exemple, aller conquérir des nouveaux marchés, et le 93 est clairement un des départements qui peut servir d'ambassadeur de la France. Le 93 est un département qui influence tous les départements et tout le territoire Français. Peu importe l’endroit où tu es en France, tu sais que le 93 existe.
Ce qu'il faudrait absolument changer ?
Quand on parle de la Seine-Saint-Denis, on y associe la pauvreté, l’immigration et la violence. Avec tous ces travers qui effraient la France, il est difficile d'être bien vu. Si on arrive à inverser ces tendances, ça impliquera que ce qui aura été fait dans le 93 pourra être reproduit ailleurs.
Qui selon toi reflète “l’esprit du 93”, une “icône incontournable ?
Pour moi, il y a Jean-Marc Mormek. À l’époque où je l’ai connu, il était videur dans des festivals puis vigile dans un Mcdonald, à Bobigny. Si, a un moment, il ne s’était pas pris en main, il serait resté vigile toute sa vie. Il m’a fait la confidence que la perte d’un de ses amis avait été l'élément déclencheur pour prendre sa vie en main. Il s’est investi dans le sport, il a tout d’abord cru en lui. Il m’a également confié avoir dit à son père “Un jour, tu verras, je serai champion du monde !”. Le gars a fini deux fois champions du monde !
J’ai un regard très critique sur les nouvelles générations. il y en a une bonne partie que je ne supporte pas. Je trouve qu’ils ont un manque de respect, à la fois envers ce pays et envers leur histoire, le parcours de leurs parents et de leurs aînés. La plupart a renoncé à faire de sa vie quelque chose de grand. Une bonne partie de cette génération considère qu’aller en prison, c’est comme aller à l’université.
Après, il y a des pépites telles que Ladj Ly, avec son film “Les Misérables” qui jette un énorme pavé dans la marre de l’industrie très fermée du cinéma français. Et il y a aussi la
génération de nos parents. Le sacrifice qu’ils ont fait est énorme, il ne faut en aucun cas les déshonorer !
Quel avenir pour la Seine-Saint-Denis ?
Je sais qu’avec de la volonté, une stratégie et des gens qui prennent leurs responsabilitées, on ira loin. Là, avec les Jeux Olympiques on va avoir la possibilité de rassembler les gens. Ca sera le rendez-vous à ne pas manquer pour le 93, mais aussi l’occasion de travailler sur toutes les problématiques évoquées ici. Il faudra en profiter pour changer la dynamique. Vox Populi va mettre en place des ateliers de formation dans les secteurs de l'hôtellerie, le BTP, la sécurité et les technologies, faire en sorte que ces JO permettent aux jeunes du territoire de monter en compétence.
Un ami à moi, Michel Houellebecq, qui a écrit le livre “Soumission”, a dépeint une réalité qui est de dire que si rien n’est fait entre aujourd’hui et les élections de 2030, on va se retrouver avec une frange radicale islamiste dans les territoires avec à l’opposé, une vague extrémiste populiste. L’enjeu sera le clivage de ces deux groupes conduisant potentiellement à une guerre civile. Là, on est en 2020 et on sent que les choses sont enclenchées. Il faut être sur le terrain. Il ne s’agit pas de stigmatisation, il ne faut pas se cacher derrière la lâcheté ambiante ! Nous sommes venus en France pour trouver un “modèle à la française”, sinon il fallait rester chez nous. Bien sûr, il ne faut pas oublier nos cultures, mais il ne faut pas non plus chercher à changer celles des autres. Il faut que les habitants du 93 soient les premiers à rejeter toute forme d'extrémisme.
Il faut que la génération future ait confiance en elle. Une fois qu’elle aura de l’estime pour elle-même, elle sera la génération qui pourra ramener des coupes et des trophés à la maison. Donc faisons confiance à cette jeunesse en la structurant, en l’accompagnant, en lui offrant un cadre !