
Baki Youssoufou et Gilles Clavreul : contrer les discours de haine en organisant une parole positive

La Fédération des maisons des potes a mobilisé son réseau pour poursuivre sa mission de sensibilisation aux discriminations, avec sa nouvelle « Université européenne contre le racisme et les discriminations », du 26 au 30 octobre dernier… dans une période où le doute vide ce genre de rencontres de ses participants. Nous étions à un débat sur « Comment lutter contre la parole raciste ».
« Près d’ici, il y a l’Hyper-casher. L’antisémitisme tue. Le racisme tue ». C’est par ce rappel cinglant que la députée Ps Sandrine Mazetier, vice-présidente de l’Assemblée nationale, ouvre les débats. « Le tragique a fait son retour pour la première fois depuis deux générations, c’est un fait majeur. La montée des populismes, autre fait majeur, incite la jeunesse à se retirer de la société fraternelle que nous proposons », ajoute aussitôt Gilles Clavreul, Dilcra (Délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme).
"Notre ennemi, c'est l'indifférence, le ricanement"
La gravité est de rigueur, plus que jamais. La dernière assemblée de la Maison des potes s’était tenue juste avant les attentats de novembre. Avec le recul, on peine donc à trouver des raisons d’être optimiste quand on se penche sur ces questions. D’autant que le discours de la fraternité, tenu par un représentant d’un pouvoir politique totalement inaudible et dont les actes apparaissent même aux « populistes » évoqués comme… contraires à leurs discours. Néanmoins, Clavreul ne désarme pas, bien au contraire : « Notre ennemi, c’est l’indifférence, le découragement, le ricanement, ci présents sur les réseaux sociaux ».
Des raisons d’espérer ?
Et le responsable de la Dilcra de se féliciter de la baisse des statistiques des actes racistes sur un an (globalement : -50%, et -75% des actes antisémites, -54% des actes anti-musulmans), baisse dont se targue M. Clavreul, « avec 250 associations ». Sans pour autant pavoiser : « L’ambiance de fond persiste, on est toujours à la merci d’actes de violence des entrepreneurs de haine ». A quoi Baki Youssoufou, ancien leader de la Confédération étudiante et fondateur de We sign it, rétorque : « Il fait d’abord être sur Internet pour lutter contre ces entrepreneurs. Mais cette lutte peut se révéler vaine, parce que les lois américaines ne permettent pas d’identifier les auteurs de propos de haine. Il faut donc d’abord former des gens à combattre en ligne en créant des contenus positifs, contre les minorités très organisées qui font le contraire ». Dans une même logique, Anna Tatar, de l’association Never again, en Pologne, s’adresse aux leaders d’opinion pour les convaincre de toucher à leur tour leurs propres communautés : « Nous avons le seul magazine polonais parlant de ces questions. Nous ciblons les sportifs, aux artistes, aux hommes politiques aussi… Mais lorsqu’on nous demande de participer avec à des débats contre des néo-fascistes, on refuse, parce que ces gens sont là pour détruire les conditions du dialogue ».
"Porter plainte, c’est compliqué"
Sandrine Mazetier évoque l’action d’un gouvernement qu’elle estime proactif. « L’engagement est indispensable, c’est pourquoi nous le valorisons avec le Service civique et les congés qui lui sont dorénavant liés, dans le nouveau Compte personnel d’activité. Il y a aussi les actions de groupe, qui auraient permis aux chibanis victimes de la préférence nationale appliquée de fait de la part d’une entreprise publique… » A raison. Mais on ne peut que regretter que ces actions soient si peu audibles, si peu visibles, alors que partout semblent progresser les discours de haine, les actions déstabilisatrices et fracturant la société française. Et Gilles Clavreul d’enfoncer le clou : « On a fait 80 saisines de la justice. Il faut porter plainte ! On l’a fait contre Henry de Lesquen, président de radio Courtoisie ». Mais Olivier, de Lyon, présent dans l’auditoire, relève, pessimiste : « Les victimes ne sollicitent pas la justice. Porter plainte, c’est compliqué. Moi, à trois reprises j’ai essayé, sans y parvenir ! Même de pousser la porte de nos associations, c’est devenu compliqué ! Et certains parquets ne nous aident pas. Quand le Progrès n’est même pas poursuivi après avoir fait un article comptabilisant les faits délinquants par nationalaité… » Kaïna, elle aussi dans le public, surenchérit vivement : « Comment faire confiance en des institutions dont les fonctionnaires votent Fn ?! Comment porter plainte ? » Et un autre militant, marseillais, d’abonder dans son sens : « Nous, on nage en plein fatalisme, notamment chez les jeunes. Il leur semble impossible de porter plainte. Depuis les attentats, beaucoup se sentent disqualifiés pour se plaindre ».
Mettre en avant ce qui fonctionne
Un Gilles Clavreul qui ne reste pas de marbre face à ces remarques. « Si on veut que les choses changent, on doit aussi mettre en avant ce qui marche bien. On a des comités opérationnels de lutte anti-discriminations qui fonctionnent bien. Et il n’y a pas plus de vote Fn dans la fonction publique que dans le reste de la population. Sauf dans la fonction publique hospitalière, en catégorie C notamment, qui ne compte pas que des « gaulois »… Maintenant, c’est vrai qu’on étudie des dispositifs de pré-plainte par Internet. Ensuite, en cas de blocage, vous pouvez aussi envoyer un courrier à la procureure de la République, avec en copie la Direction départementale de la sécurité publique. Enfin, on soutien aussi les efforts de ceux qui luttent contre le conspirationnisme. Les discours officiels, moraux, ne marchent pas, il faut que les jeunes soient capables de décrypter ces discours. Par exemple en les rendant acteurs de cette chasse au conspirationnisme ».
Un labeur quotidien qui prendra du temps, être mené par des acteurs de terrain, mais qui doit avant tout être coordonné et soutenu financièrement par les institutions. Quoi qu’il en soit, la Fédération des maisons des Potes ne lâche rien et reprend son bâton de pèlerin pour un nouveau « Tour de France pour l’égalité »…