
« In-Seine-Saint-Denis » : renouveler l’image d’un département mal aimé

Le Conseil Général de Seine-Saint-Denis, sous l’impulsion de son président Stéphane Troussel, veut redorer le blason de la Seine-Saint-Denis, médiatisée comme une lanterne rouge de la République. Une première rencontre, sise dans les locaux flambants neufs de Betc à Pantin, le 18 octobre dernier, lançait une campagne et un réseau des « ambassadeurs » du territoire.
Le département pâtit d’une image plus que médiocre. Jusqu’à devenir pour certains hommes politiques, de droite en particulier, une sorte de repoussoir, de contre-modèle français successivement perçu comme le terreau de délinquants dans les années 90, d’émeutiers (Clichy-sous-bois ayant allumé la mèche) en 2005, puis de djihadistes depuis les années 2010 ; jusqu’à devenir dans l'imaginaire médiatique, une sorte de gigantesque « Molenbeek » (ce fameux quartier bruxellois lui-même ô combien stigmatisé par la presse -Figaro en tête). Quand on se rappelle que les Thénardier des Misérables hugoliens vivaient déjà dans un bouge à Montefermeil, on sait qu’on vient de loin, et que depuis longtemps ce territoire tente de remonter la pente !
Un nouvel "Appel des 93" ?
Comment retourner une image si négative ? Un temps, il y eut « L’appel des 93 », lancé par le communiste Hervé Bramy… initiative hélas prémonitoire d’un vrai besoin, puisque lancée par le département en avril 2005, quelques mois avant les émeutes. Le « In Seine-Saint-Denis » de Stéphane Troussel y fait penser, avec ses ambassadeurs (mais sans le numerus clausus marketing des « 93 porte-parole », cette fois).
Troussel avait bien raison de le dire dès son accession à la tête du Cg93 en 2012 : « L’avenir de la République se joue en Seine-Saint-Denis ». Et ceux qui ne le voient pas sont condamnés à être les perdants de l’Histoire. Mais ce 18 octobre, à Betc, le pourtant policé président du CG explosait : « J’en ai ras le bol de l’image de ce département ! » Lui-même né à La Courneuve, il sait trop bien que le territoire a de grosses difficultés. Mais il le clamait, optimiste : « Là où beaucoup d’autres départements ferment des collèges, nous on en ouvre ! Et sur ce territoire, on a des choses à dire et à faire valoir : on est jeunes et métissés, on veut faire émerger de nouveaux talents qui seront demain aux commandes pour certains ».
Le 93, "coeur de réacteur du Grand Paris" pour Rémi Babinet
Le talentueux Rémi Babinet, directeur de Betc (première agence de publicité française avec 750 salariés et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires) aurait-il tenté de le rassurer ? « On est arrivé de l’Ouest parisien. Et plus on a progressé vers l’Est, plus on a été dynamiques. Nous pensons que la Seine-Saint-Denis peut être le cœur de réacteur du Grand Paris ». Celui qui est devenu cet été le directeur du Fonds de dotation du Grand Paris (qui accompagnera des projets artistiques et culturels de ce territoire) a bien entendu en tête à la fois les JO de 2024, qui pourraient s’y tenir ; ainsi que l’Exposition Universelle de 2025, tous deux susceptibles de redorer le blason du département, à l’aune de ce que la Coupe du Monde de foot, victorieuse, avec son Stade de France et son Zidane associés, ont produit en 1998.
De son côté, Olivier Meneux, responsable de l’organisme de préfiguration du projet de Villa Médicis à Clichy-sous-bois, rappellait : « Un territoire, c’est aussi un imaginaire, des symboles. Aujourd’hui, la frontière n’existe pas entre Paris et la banlieue, pour les artistes internationaux ». C’est le Grand Paris qui leur parle, selon lui.
Banlieue is beuatifull
Plusieurs manières de faire, pour changer cet imaginaire : inventer, créer. Ils sont nombreux à le faire. Du côté de la jeunesse baignée de cultures urbaines d’abord, qui réinvente un nouveau récit de la société française. Ntm l’a fait en son temps. Mehdi et Badrou (issus du Bondy Blog) continuent la geste, d’abord avec l’outil médiatique, ensuite par la culture, avec des initiatives comme Téléramadan (édité par leur maison d’édition au nom évocateur, « Les éditions du Grand remplacement ») ou encore l’exposition « Banlieue is beautifull », en son temps (au Palais de Tokyo en 2014) ; sans parler de Ladj Ly ou de son ex-comparse, JR, par la photo ou la danse plus récemment. Laurence Lascary avec Dacp, par le cinéma (et de quelle manière, avec un film comme « L’ascension », histoire vraie de Nadir Dendoune, habitant de l’Île-Saint-Denis, qui se clôt en apothéose himalayenne par un gros coup de cœur à son territoire…) Le logo du "In Seine-Saint-Denis", très vaguement évocateur de cœurs de diverse couleurs s’entrecroisant, peut d'ailleurs y faire penser. N’oublions pas non plus enfin la poésie slamée de Grand Corps Malade et de tant d’autres moins connus mais non moins valeureux. Dans ce rapide tableau, l’installation de Luc Besson dans la Cité du cinéma de Saint-Denis, et tout ce que ses écuries portent, n’est pas la moindre des impulsions culturelles (et aussi commerciales, industrielles) capables de redonner de l'oxygène à une banlieue mal-aimée.
Certains entrepreneurs aussi sont enthousiastes, qu’ils soient brasseurs de bière (comme le responsable de Gallia, implanté à Pantin), communicants (comme Bastien Brunis de Solicom), ou dans le Btp comme l’incontournable Francis Dubrac : « On attend quinze milliards d’investissements liés au Grand Paris demain. Il y a 60 000 étudiants ici, on est capables de fournir tout ce que la France a besoin ! » s’emporte-t-il même...
« Vu ce qu’il se passe dans les quartiers insensibles comme le 16ème arrondissement où des sauvageons incendient des locaux publics, ça fait du bien d’être ensemble ici ! » conclut optimiste Charlotte Corrius, responsable du développement économique au Conseil départemental. « Car ici, on a plus l’habitude de travailler ensemble, de coopérer ».