
Yazid Kherfi : médiateur nomade

Il n’a jamais lâché la grande affaire de sa vie : la délinquance, et comment on en sort. Il est passé par la case prison + expulsion mais une rencontre l’a fait passer du bon côté de la Justice : il arpente le terrain où et quand personne n’est là, pour aider ceux qui tiennent le mur à ne pas tomber plus bas et les institutions à agir avec des méthodes plus légères. C’est la « médiation nomade ».
P&C : Quels publics arrivez-vous à toucher ?
Y.K. : Des publics très différents, souvent des gens qui ne travaillent pas. Des précaires, des fragiles… On fait des grands colloques sur la médiation pour se donner bonne conscience, mais on n’est pas capable de faire des choses simples, d’aller voir un jeune la nuit dans un hall ! On réfléchit beaucoup, mais on agit peu. C’est de la masturbation intellectuelle. On aime rester dans son confort. Je serais ministre, j’obligerais à un avoir un lieu de prévention ouvert tard le soir dans chaque programme de rénovation urbaine. On dépense bien des milliards avec l’Anru…
P&C : Votre caravane vient se poser en pied d’immeuble quelques soirs par semaine pendant quelques mois, afin de détecter ceux qui vont mal, leur tendre la main… Pourquoi ces partis pris : le soir, quelques jours… ?
Y.K. : C’est un public qui se sent mal, exclu. Aller au resto, en soirée, aller à Paris… ça ne se fait pas. Il faut être là le soir parce que c’est des heures où ces gens sont plus fragiles, plus influençables. C’est leur moment à eux, ils se retrouvent entre eux, ils se montent la tête. Souvent, ils n’aiment pas les gens de la journée. Et c’est aussi à ces moments-là qu’ils sont les plus détestés, les plus stigmatisés. Ils ne se sentent pas bien dans le monde du jour. La nuit, ils peuvent basculer, « s’engrainer ». Les discours sur la radicalisation, c’est parce qu’ils restent entre eux à se monter la tête. Moi, « la bande », je l’ai connue le soir. Personne n’est venu me voir pendant avant mes 31 ans.
P&C : Vous intervenez à la demande des institutions. Pourquoi font-elles appel à vous ?
Y.K. : Les éducateurs et les assistantes sociales savent ce qui se passe chez eux ; ils sont souvent inquiets : ils font un constat d’urgence, mais disent qu’ils n’ont pas les outils. Je les aide juste à s’occuper de la nuit. Quand les structures sont le plus souvent fermées… A Avignon, ils vont sans doute acheter un camion comme moi. A la Villeneuve, à ouvrir le soir, à sortir les tables et les chaises, à aller « hors les murs »… A Gennevilliers, j’ai formé des médiateurs à faire de la médiation nomade. A Aulnay, c’est ouvert le soir : c’est un ancien qui a fait du « placard ». Je passe mon temps à assurer la relève. Mais je ne travaille pas avec les mairies. Je fais juste une convention avec elles : il faut toujours être introduit par quelqu’un qui soit local. Tout se joue dans cette phase où on arrive, comment et avec qui.
P&C : Votre mode d’intervention est très léger : un camion, une tente, quelques jeux, un peu à boire et à manger…
Y.K. : Plus on se structure, moins on touche les jeunes. Il faut que ça reste simple. Il ne faut pas non plus rester longtemps. Ne pas remplacer les institutions. C’est un boulot d’éducateur qu’il faut que les villes fassent : organiser la jeunesse, lui apprendre à se poser d’abord, à se soigner, à se faire entendre…
P&C : Que demandent les jeunes que vous rencontrez ?
Y.K. : Il y a souvent des demandes par rapport au casier judiciaire, au tribunal. Mais certains viennent aussi ensuite me voir en privé, me dire : « je vais craquer, j’en ai marre, je veux m’en sortir… ». Quand ils vont mal, je peux le signaler aux institutions, tenter de leur trouver des stages, du travail…
P&C : Est-ce que vous avez l’impression que la situation se dégrade ?
Y.K. : Il y a une rupture de plus en plus importante entre les jeunes et les adultes, on vit de plus en plus à côté les uns des autres, pas ensemble.