David Azoulay, animateur à Nanterre : « Devenir force de proposition par l’opérationnel »

La guinguette de Nanterre
Le 09-12-2015
Par Erwan Ruty

David Azoulay travaille à la maison de quartier Daniel Féry (Nanterre), au bord du quartier Marcellin Berthelot, à un jet de pierre de la A14 et des voies du Rer. Depuis quinze ans il élabore des projets permettant aux jeunes les plus en difficultés de ne plus se sentir à l’écart de la vie locale. Un de ses projets, La Guinguette, y parvient de manière quasi miraculeuse. Tout est dans la manière.

 

P&C : La "Guinguette de l'Île", rencontre estivale quotidienne et animée chaque jour d'un nouvel événement.est un vrai succès…
D.A. :
Oui, on avait prévu que ça dure huit jours, et puis face à l’ampleur du succès, deux cents personnes chaque soir environ, on a obtenu une prolongation sur tout un mois, puis même tout l’été jusqu’au 20 août. Les élus passent, les habitants se mobilisent, y compris jeunes.
 

P&C : Comment parvient-on à dynamiser des jeunes qui sont loin de tout ?
D.A. :
En règle générale, les jeunes ne sont pas fermés si tu ne te poses pas en donneur de leçons ou en sauveur, et que tu viens avec un thé ! On a pris le parti de tout autogérer, y compris la sécurité : pas de vigiles, même pour la surveillance de nuit ! En fait, on s’est posé sur un parking où il y avait de la mécanique sauvage, en face d’un parc où des alcoolos du quartier se retrouvent. Au début, ça a tourné un peu au vinaigre, et puis ça s’est réglé. L’implication d’une association comme « Nous la cité… »* y est pour beaucoup. On est 16 ou 17 à organiser l’événement, des jeunes du quartier essentiellement, qui sont toujours présents. Ils sont devenus des pilotes du projet.
 

P&C : Comment ce projet a démarré ?
D.A. :
J’habite au-dessus de là où neuf jeunes posent problème. Ils vivent la nuit, se lèvent à 2-3 heures de l’après-midi. Ca posait des problèmes avec l’amicale des locataires. On pense d’abord à organiser un coin avec barbecue. Je les ai finalement invités à participer à un repas pendant une fête des voisins, qui s’est tenue là où ils squattent, au pied de la barre. 300 personnes y viennent ! Ca ne c’était jamais fait depuis neuf ans, au mieux, on avait quinze-vingt personnes d’un même immeuble, pas tout le quartier ! Au départ, c’était houleux. Le premier qui est venu me voir, c’est celui qui partait toujours quand je venais discuter. Il me disait qu’il voulait être routier mais n’avait pas le permis. On l’a aidé à s’inscrire, en échange de son implication dans nos projets. On dit toujours : « En échange de l’aide qu’on va t’apporter, qu’est-ce que toi tu pourrais faire pour aider quelqu’un ? » Il s’agit de peu de choses : l’inscription à la piscine, au sport etc. Même s’ils n’arrivent pas au bout de tout, parce que par exemple ils peuvent avoir un casier [judiciaire, Ndlr], au moins, on sait qu’ils tentent quelque chose de collectif, avec d’autres. Il s’agit de devenir force de proposition par l’opérationnel. Au début, ils ne voulaient pas de quelque chose d’ouvert, ils voulaient se retrouver entre eux. Je les ai convaincus que si c’était eux qui portaient le projet, la représentation que les gens se font d’eux, à savoir « les jeunes, c’est ceux qui posent problème », changerait pour « les jeunes se bougent pour mon quartier ». Ils ont compris tout de suite.
 

P&C : Comment le projet a été rendu possible, une fois lancé ?
D.A. :
L’info a remonté dans les foyers. La meilleure communication, c’est par les habitants et leurs enfants. Les mamans, les papas, les jeunes se sont mis à parler de la fête. C’est eux qui sont devenus les points de contact avec les mécaniciens qui étaient sur le parking, alors qu’avant, les relations étaient à base d’amendes etc ! Alors que là, peu à peu, une semaine avant, les véhicules ont commencé à être débarrassés par les mécaniciens eux-mêmes. Depuis, on travaille même sur un projet de garage associatif ! C’est vrai que les services municipaux n’étaient pas chauds, pour des questions de sécurité. Je suis alors allé voir els élus…
 

P&C : Comment se passent les soirées ?
D.A. :
Tous les soirs, il y a des animations : tournoi de foot, de cartes, avec repas offert par l’équipe qui gagne, scène sonorisée, soirée ramadan (proposée par des mamans qu’on ne voit jamais, surtout le soir). Tous les publics viennent, ceux qui sortent du boulot, ceux qu’on ne voit jamais, et même l’ingénieur propriétaire qui a malmené les jeunes du bas de l’immeuble…. Mais tous ne se fréquentent pas forcément. Il y a le coin des chibanis, des mamans, des fumeurs.

P&C : Quelles conséquences cela a-t-il eu sur la vie du quartier ?
D.A. :
Parmi les neufs principaux pilotes du projet, la plupart travaillent maintenant, alors qu’avant, il n’y en avait aucun ! Ils ont généré l’arrivée d’une trentaine de jeunes autour d’eux. Ca a aussi permis la création de collectifs, voire d’associations (chez les chibanis ou les mamans par exemple, qui organisent des repas pour payer les vacances de l’une d’entre elles par exemple). Les réunions de quartier sont plus fréquentées : on est passé de dix à soixante-dix personnes environ !

*qui a réalisé un livre du même nom, racontant le parcours de plusieurs jeunes accompagnés par un Service pénitentiaire d’insertion et de protection


 

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