
Création d’entreprise dans les quartiers : sortir de l’isolement

Grégory Benas, responsable de la Boutiques de gestion pour Entreprendre du département des Hauts-de-Seine, mais son organisme de rattachement couvre l’ensemble de l’Île-de-France et de la Bourgogne. Il dresse un tableau très contrasté de la création d’entreprise et du statut d’auto-entrepreneur qui domine ce marché de la création d’entreprise, notamment dans les quartiers.
P&C : Comment la création d’un statut d’auto-entrepreneur a-t-elle modifié le paysage de l’entreprenariat ?
G. B. : Ce régime a créé un véritable boum, mais en même temps, on est en période de crise : ça apparaît comme un test pour créer son entreprise, alors qu’en théorie, il s’agit d’avoir un revenu complémentaire. C’est une étape. L’aspect juridique occulte parfois des vraies données commerciales : créer son entreprise facilement est une chose, bien définir son offre et savoir prospecter, définir une cible etc. se prépare. Quand on parle de « stratégie commerciale » à quelqu’un qui veut vendre sur un marché, il recule, alors qu’il y a des choix à faire. On a beaucoup de personnes qui créent une activité à partir d’une opportunité, pour faire leur première vente, sans réflexion sur la démarche d’entrepreneur. 50% des créations d’activité se font sous ce statut : comme les entreprises sont réticentes à embaucher, elles préfèrent sous-traiter à des prestataires qui ont ce statut, y compris des postes qui sont dans leur cœur de métier, comme le commercial. 86% des auto-entrepreneurs qui viennent nous voir sont demandeurs d’emploi, et parmi eux, 79% ont une pérennité de trois ans (alors qu’en moyenne, en Île-de-France, 60% des entreprises ferment au bout de trois ans)… Et on a deux fois plus de création d’entreprises depuis que ce statut existe, même si ça se stabilise depuis quelques mois. Peut-être parce que souvent, les gens se rendent compte qu’ils ne facturent rien et ne touchent pas de salaire. Seulement 5% embauchent, et passent à un autre statut. Un certain nombre de gens finissent même par trouver un travail salarié : ça leur donne une image plus dynamique, de motivation…
P&C : Comment repérez-vous les porteurs de projets qui ont un activité à potentiel ?
G. B. : Ce qui nous intéresse chez un porteur de projet est son parcours, sa vision, comment il va développer son projet. Etre chef d’entreprise, c’est une transformation : il y a beaucoup de décisions à prendre sans cadre, sans hiérarchie pour vous protéger ou décider à votre place. Cela demande une évolution des compétences, de savoir prendre du recul, mais aussi déléguer, comprendre les chiffres… L’un des problèmes, c’est l’isolement du chef d’entreprise, notamment dans l’auto-entreprenariat : on travaille chez soi, on ne sait pas par où commencer… Heureusement, des clubs d’entreprise se créent.
P&C : Quels sont les types d’activité qui dominent dans ce milieu ?
G. B. : Dans les quartiers, on a vu beaucoup de jeunes qui voulaient s’inscrire sur Uber, ou Allô car. Les retours sont plutôt positifs, et il y a peu de problèmes d’impayés sur les prêts d’honneur, même s’il y a de plus en plus de concurrence. Pas mal proposent aussi de la prestation de service, ou des services à la personne, ou encore sont dans la mode. Beaucoup de gens, dans ces quartiers, ont des idées, mais pas de diplôme ni d’argent. Ils n’osent pas venir, pensant que chef d’entreprise, c’est pas fait pour eux. Certains, à Clichy-la-Garenne, trouvaient même presque ridicule d’en parler ! Or, souvent, on apprend des choses, même quand c’est un échec. En Seine-Saint-Denis, il y a beaucoup de volonté de créer son entreprise, notamment chez des jeunes à peine sortis des études. Et les hommes sont aussi nombreux que les femmes à vouloir créer leur entreprise.
P&C : Comment pouvez-vous les accompagner ?
G. B. : Par exemple en leur donnant un Siret provisoire, et une place en couveuse (là, il faut être demandeur d’emploi). Avec parfois un accompagnement sur trois ans, et le soutien, après, par le « BGE club », un club des anciens créateurs d’entreprises passés par BGE (avec annuaire, offres préférentielles, afterworks, chats, modules de e-learning…). Et cela pour une centaine d’entrepreneurs. Le statut de pépite se développe aussi : l’étudiant en cours de formation qui porte un projet. On se rend compte de l’importance de la sensibilisation, y compris en milieu scolaire. Ou par un bus, qui circule dans les quartiers, à Noisy-le-Grand, Clichy-Montfermeil, Gennevilliers… Mais on a la volonté de ne pas différencier notre travail en fonction du territoire, seulement en fonction des personnes. La méthodologie est la même, mais la boîte à outils varie en fonction des porteurs de projet.