Moussa Camara : « Jamais personne n’a fait quelque chose pour nous, qui va le faire si ce n’est nous-mêmes ? »

Moussa Camara
Le 26-11-2015
Par Erwan Ruty

Le président de l’association AGPR (Agir pour réussir), basée à Cergy, à deux pas de l’Université, a un parcours incroyable : salarié, entrepreneur, leader associatif et dorénavant organisateur de formations et d’accompagnement à la création d’entreprise. Le président du Medef l’a mis en avant comme symbole du dynamisme des quartiers, statut dont le jeune entrepreneur ne veut pas…

 

P&C : On a l’impression que beaucoup de jeunes des quartiers créent leur entreprise pour se donner du travail
M. C. :
Oui, c’est « entreprendre pour travailler » : faute de trouver leur premier job, ils créent leur entreprise, ils savent que leurs compétences ne seront pas reconnues. Il y a une envie. On voit ça chez des étudiants, des chômeurs, des gens qui ne peuvent pas évoluer dans leur emploi. Jamais personne n’a fait quelque chose pour nous, ni association, ni rien, qui va le faire si ce n’est nous-mêmes ? Autour de moi, beaucoup de jeunes créent des boîtes, mais elles ne durent souvent que trois ans. Non pas parce que l’idée n’est pas bonne, mais faute de reconnaissance, et de financement. Même ouvrir un compte c’est compliqué !
 

P&C : Vous avez organisé une rencontre entre porteurs de projets et chefs d’entreprises, encadrée par le Medef. Comment avez-vous sélectionné ces jeunes porteurs de projets ?
M. C. :
La majorité sont de Cergy, quelques uns du 78 [Yvelines, ndlr] voire du 94 [Val-de-Marne, ndlr]. Ils faisaient partie de notre réseau. On fait pas mal d’événements, y compris dans d’autres villes, pour contribuer à la réussite sociale, culturelle, économique des quartiers. C’est l’objet d’Agpr, qu’on a créée en 2007, parce que les problèmes se multipliaient. Quand c’est parti en conflit à Cergy [en juin 2007, ndlr], on a rencontré les élus, on n’a jamais dit que la politique ne servait à rien, c’est pour ça d’ailleurs qu’on a organisé des « émeutes citoyennes » pour l’inscription sur les listes en 2008, et qu’on est tous partis voter dans le même bureau, ça a mis la pression. Tout le monde a commencé à nous contacter, les politiques etc. On a vu qu’on avait un pouvoir, le pouvoir du nombre. Mais pas d’argent ! Et on n’avait aucun modèle associatif.
 

P&C : Mais comment en êtes-vous arrivé à travailler sur les thématiques de l’emploi ?
M. C. :
On a commencé autour de la question de la « décohabitation » des jeunes et donc sur la question du logement, de la famille… Quand vous n’avez pas d’emploi, vous n’avez pas de logement. Alors on s’est intéressés à l’emploi, et à l’échec scolaire. Même pour un stage, les jeunes n’ont pas de réseau. Ils allaient au Leader Price pour travailler, ils étaient dégoûtés du monde du travail ! On a créé une « CV-thèque », on a fait du « sourcing » et on a fait intervenir des chefs d’entreprise qui ont changé de regard sur les jeunes. On a provoqué des dizaines d’emplois !
 

P&C : Il existe pourtant des professionnels du recrutement, ou de la création d’entreprise…
M. C. :
Oui, il y a des pôles d’information et d’accompagnement, mais ils n’arrivent pas à toucher les destinataires. On n’est pas bons qu’à ouvrir des chichas ! Et beaucoup n’osent pas entreprendre… J’ai rencontré Pierre Gattaz [Président du Medef, ndlr] aux vœux du Sénat, où j’étais invité par notre sénatrice, Dominique Gillot [PS, ndlr] en 2014, je ne savais même pas qui c’était, je ne savais même pas ce qu’était le Medef. Je lui ai prouvé qu’il y avait un potentiel, qu’il ne fallait pas que les patrons ratent ce coche… Je rencontre ses équipes, on réfléchit à un projet, j’interviens en 2014 à l’université du Medef, mais je leur dis que s'ils veulent qu'on travaille ensemble, ils doivent venir à Cergy ! On a fait venir 200 entrepreneurs à Cergy, dans la salle de l'Agglomération en novembre 2014 ! Le Medef apport ses réseaux, ils sont impliqués et disponibles, ce n'est pas que de la com' ! Et c'est nous qui avons le lead sur nos projets... Rien n’était préparé, je ne pensais pas faire une formation « envie d’entreprendre » moi-même, mais je voyais bien la créativité de certains et que beaucoup avaient cette envie mais n’arrivaient même pas à rentrer dans un réseau d’accompagnement à l’entreprenariat. Les Missions locales etc n’apportent pas de solutions concrètes, c’est des réunions mais pas d’opérationnel.
 

P&C : En quoi consistent les rencontres que vous avez organisées entre entrepreneurs porteurs de projets et chefs d’entreprises installés, amenés par le Medef ?
M. C. :
On a d’abord créé un club des « déterminés », pour avoir un groupe, se conseiller, faire un lobbying. C’est comme ça que ça fonctionne, en réseau. Chacun doit bénéficier de la réussite des autres. On ne doit pas partir à droite à gauche comme ça… On fait des formations pendant cinq semaines avec Audace comme prestataire [organisme d’accompagnement et formation à la création d’entreprise, ndlr]. Le Medef a cofinancé. On a fait une soutenance, une cérémonie de remise des diplômes etc… c’était la banlieue au Medef ! Trois mois après la formation, cinq ont commencé leur activité. Avec nous, tu peux commencer à zéro, juste avec ton idée et l’envie d’entreprendre. On propose juste une ingénierie de formation, mais adaptée au territoire. Il faut une stratégie locale. Après, les réseaux d’accompagnement interviennent et les bons pédagogues : Essec, écoles de commerce… Et dans cette formation, tout le monde est indemnisé. On fait tourner un écosystème local : par exemple, le traiteur qu'on utilise, Let's food concept, est issu de notre première promotion.
 

P&C : Vous avez eu vous-mêmes une expérience dans ce domaine ?
M. C. :
Oui, je l’ai vécu, j’ai créé ma boîte à 21 ans, dans les télécoms, après un Bac pro en logistique. C’était une Sarl, mais je n’y connaissais rien, les études de marché, les business plan etc… ! Personne ne m’a accompagné ! J’ai duré cinq ans, accompagné j’aurais duré 10 ans ! Mon premier chiffre d’affaires, je croyais que c’était pour moi, ben non, une partie était pour l’Etat. Il ne faut pas lâcher les gens dans la nature ! Moi, j’étais en bac pro logistique, je faisais des petits jobs mais rien de sérieux. Je ne m’étais jamais vu entrepreneur. J’ai appris en faisant. J’aurais pu éviter certaines erreurs. Je faisais du dépannage télécoms, souvent comme troisième sous-traitant pour Orange. Je suis finalement redevenu salarié de la boîte qui m’avait confié ces missions…
 


 

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