
Médias et journalistes des banlieues : comment écrire ensemble une nouvelle page de l’histoire de France ?

Depuis plus de 20 ans, médias et journalistes issus des quartiers tirent la sonnette d’alarme, souvent en vain. Il faut que les médias grand public s’ouvrent à ces lanceurs d’alerte car ils connaissent mieux la nouvelle société qui émerge. Leur proximité avec elle est un atout. Pour parvenir à ce nouveau récit commun, un mariage de la presse de quartier et du reste de la presse est indispensable.
Les alertes aussi bien que les messages d’espoir, il faut tout simplement les dire. Les médias grand public l’ont-ils fait, pour l’instant ? Trop peu : certes, la qualité et la quantité d’informations sur les banlieues ou la diversité, sont allées en s’accroissant. De nouvelles voix se font parfois entende, de nouveaux visages se font voir. Mais bien tard : la presse et les médias traditionnels ne font plus partie du quotidien d’une large fraction du peuple de France. Les opinions se font largement ailleurs. De plus en plus sur les réseaux sociaux et l’Internet où se déchaînent un formidable populisme numérique, une paranoïa identitaire, un séparatisme social facilité par les communautés digitales.
Rien ne changera tant que les mêmes classes sociales et culturelles s’entredéchireront sur les questions identitaires sans laisser la parole à ceux qui sont à la fois vus comme le problème et pourtant sont surtout une part incontournable de la solution. Laissant encore planer le sentiment aux habitants de ces territoires d’être les mal-aimés de la République médiatique.
Il est temps que les médias fassent une place à ces journalistes qui connaissent bien ces territoires, et frappent depuis plus de 10 ans (c’est long !) à leur porte. Qu’ils permettent à ceux qui en sont issus de rentrer dans leurs rédactions, non pas pour rester assignés aux questions liées aux banlieues, mais à tous les sujets qui font l’actualité. Il est temps qu’on ne serve plus ces thématiques et publics sur un plateau une fois de temps à autre à l’occasion de telle ou telle crise pour soigner sa culpabilité. Qu’on arrête de leur jeter un os à ronger épisodiquement, sous-traitant telle rubrique ou telle émission le temps d’un émoi. Il est temps que ces journalistes soient assis à la table de chaque conférence de rédaction. Il est temps que des partenariats durables soient réalisés entre la presse grand public et les médias issus de ces quartiers, afin que les uns et les autres entrent en symbiose et ne se contentent plus de vivre côte à côte en s’ignorant.
Il est temps surtout que les médias ne traitent plus ces sujets de manière périphérique, occasionnelle, mais de manière centrale, permanente. Et s’interrogent sur leur travail : doit-on continuer à multiplier les canaux déjà saturés de l’info continu ? Comment rationaliser les réseaux sociaux et aider à leur intermédiation, à leur juste modération ? La dématérialisation est-elle la solution, ou au contraire la proximité, l’incarnation de la diversité des visages et des messages, la juste représentation des opinions et conditions de vie par ceux qui les connaissent ? Et dans ce cadre, comment accélérer le développement des médias de proximité, en partenariat avec les autres médias ou de manière autonome ?
Pour contrer le ferment de la division qui pèsera dans les mois à venir et que recherchent les djihadistes, il faudra non seulement vivre mais aussi travailler ensemble. Se marier. C’est à de tels mariages que nous appelons, y compris dans les médias. C’est ainsi que l’on pourra enfin écrire avec ces médias renouvelés une nouvelle page de l’histoire de France.