
Nader Oueslati : entreprendre, c'est ne pas être assis sur ses habitudes

En 2014, il était à Talents des Cités, au Sénat. Il ne recevait pas de prix (il en avait déjà reçu un en 2010). Ce chef d’entreprise de Vénissieux (Rhône) y faisait du lobbying. Nader Oueslati, avec son frère Malek et Walid el Houweij, tous trois rejoints par Kamel Berbar, ont en effet créé 6ème Sens global services. A 36 ans, il a déjà plusieurs vies d’entrepreneur et de salarié derrière lui.
Presse & Cité : Comment êtes-vous devenu chef d’entreprise ?
Nader Oueslati : Par hasard ! J’avais fait un Bep comptabilité, sans motivation. Mais j’étais inactif. Mon père m’a attrapé et m’a dit Mon fils, si t’as rien, tu prends la porte ! Je suis allé à la Mission locale, il y avait une formation Nettoyage, j’ai pris. J’ai découvert que ce n’était pas du tout ce qu’on croit ! C’était pas du tout la serpillière et tout ! J’ai découvert beaucoup de choses, j’ai poursuivi avec un bac pro Maintenance et hygiène des locaux, où ça parlait de réglementation, d’agro-alimentaire, de chimie... C’était tout ce que je voulais ! Après pas mal de stages, j’ai visité Total, Rhône-Poulenc, Rhodia…et j’ai fini par être embauché comme apprenti à la mairie de Vénissieux. J’ai pu toucher différentes activités et corps de métier : les égouts de Lyon, la voierie, les camions. Mais j’étais avide d’argent ! Le poste que la mairie m’a proposé ne me convenait pas, je suis parti et j’ai recommencé en bas de l’échelle, comme agent d’entretien ! Mon patron, un Italien, comprenait que peu de gens nous donneraient notre chance en tant que Maghrébin, alors il me fait monter comme chef d’équipe, puis contremaître. Au bout de deux ans, je décide de monter ma propre entreprise. On est en 1998.
P&C : Vous étiez prêt pour ce type de vie ?
N.O. : Non ! Je connaissais mon métier, pas celui de chef d’entreprise ! C’est un métier à part, la facturation, la trésorerie etc... Ca a été l’enfer ! On faisait du chiffre, mais la vraie difficulté c’était d’être au four et au moulin. Et je ne savais pas déléguer… J’ai fait un bilan de compétences, et j’ai arrêté ! Un ami m’a embauché, pour être formateur, dans une association, pour des personnes handicapées. Pendant deux ans, j’apprends à faire comprendre quelque chose à quelqu’un qui ne le comprend pas ! C’était un travail d’accompagnement. Cette nouvelle mission, c’était du management. Mais je suis speed, je veux avancer plus vite. Au bout de deux ans, j’arrête. J’arrive dans une grande entreprise, avec 80 salariés à ma disposition, qui se fait racheter au bout de deux ans. C’est là que j’ai appris à gérer des grands comptes, quand l’entreprise a été rachetée et que mon patron m’a demandé ce que je voulais faire. Je voulais aller sur les chantiers. C’est un milieu dans lequel j’ai signé pas mal d’affaires. Mais c’est surtout là que j’ai rencontré mes futurs associés.
P&C : Qu’est-ce qui vous pousse à sauter le pas de l’entreprenariat à nouveau ?
N.D. : En fait, on se rend compte que l’entreprise de services, ça a un sens, et que les services rendus par la nôtre en matière de nettoyage après chantier ne pouvaient pas satisfaire les clients. On décide alors de combler le créneau en créant une Sarl. On est en 2008. Mais dès 2011, on se rend compte que nos clients nous demandent d’être plus polyvalents. Au début, on ne faisait que du nettoyage de fin de chantier.
P&C : Où en êtes-vous maintenant ?
N.D. : Je construisais alors ma propre maison et me suis rendu compte de tout ce qu’on jetait, et du coût des matières premières. Je fais alors une formation « gestion de déchets de chantier ». A l’époque, ça n’était pas une obligation, mais on a senti le vent tourner : ça allait le devenir. On doit valoriser 40% des déchets de chantiers, ça sera 60% en 2020. On est lauréat de Talents des cités, en 2012. Chantal Jouanao nous appelle le lendemain. Elle était jury, et nous fait rencontrer des gens de l’Ademe [Agence pour l’environnement et la maîtrise de l’énergie, Ndlr]. C’est depuis qu’on répond à des gros appels d’offre. Mais on nous consulte, sans passer par nous pour l’instant pour ces aspects de valorisation, alors on vend d’autres prestations : gardiennage, contrôle d’accès… Il nous faudrait un gros chantier, comme les Galeries Lafayette de Lyon, qui nous permettrait de faire un chantier depuis sa préparation, jusqu’à l’après chantier. Nous on propose de peser chaque déchet pour savoir quoi et comment valoriser, plutôt que de le jeter en déchetterie. Et plutôt que d’avoir affaire à divers prestataires en fonction des types de déchets. Nous on peut gérer l’ensemble de la logistique sur un chantier. On a la capacité de devenir directeurs d’études, sur des chantiers de 2 ou trois ans, qui nécessitent un an d’études, et pas seulement de rester conducteurs de chantiers. Mais on ne va pas se plaindre : on a 22 salariés, 1,2 millions de chiffre d’affaire en 2014 !
P&C : Comment voyez-vous l’avenir ?
N. O. : Nicolas Hulot dit que le déchet est une matière première qui peut servir à un prestataire… On se dit surtout qu’il y a trop d’anomalies sur les chantiers. Il faut du sang neuf pour s’en apercevoir, avoir un regard critique. Un chantier, c’est chauvin ! Les gens sont assis sur leurs habitudes !