Toumany Sané : garage solidaire, pour vous sortir les mains du cambouis

Toumany Sané dans son garage des Rochers - Photo d'après film de BGE
Le 25-06-2015
Par Erwan Ruty

La Commanderie. Un quartier qui eut mauvaise réputation, à Nogent-sur-Oise, banlieue de Creil. Et puis il y a eu la rénovation urbaine : des barres ont sauté, on aidé ceux qui voulaient (pouvaient ?) s’en sortir, notamment ceux qui faisaient de la mécanique sauvage sur le parking de la cité. L’un d’entre eux a saisi la main tendue. Il est en train de prendre son envol. C’est Toumany Sané.

 

Son garage est à un jet de pierre du quartier où tous les habitants du sud de l’Oise se rendaient pour faire réparer leur voiture à la va-vite. Plusieurs mécaniciens étaient alors tous les jours en activité. Un quartier alors transformé en parking pour amateurs de mécanique, mais tout cela n’est plus qu’un souvenir. L’huile ne coule plus à flot des carters éventrés vers les sous-sols de la ville. Les carcasses éventrées ne fleurissent pas aux abords des terrains de jeu des enfants. Les familles à problème ont été dispersées, un centre social a ouvert ses portes, ainsi qu’un salon de thé. Le quartier est même débaptisé : il s’appellera dorénavant quartier des Rochers.



L’amour du métier de mécano

Pendant ce temps Toumany Sané, un des mécanos du coin, a remonté la pente, au sens propre comme au figuré : le 1er avril 2014 il a ouvert un garage, un peu plus haut à la lisière du quartier, dans une ancienne remise, accolée à un verger (avec quelques pruniers et pommiers, tous rasés). Une cour, un garage abrité, un parking sur le devant, le tout n’est pas bien grand, juste de quoi coller une toute petite dizaine de voitures. M. Sané a un bon esprit : « Dans les grandes concessions, ils vont vous faire peur direct, vous proposer un nouveau moteur à 2500 euros plus la main d’œuvre. Bref, vous en aurez tout de suite pour 5000 euros. Nous, on refait tout, pièce par pièce, à 1500 euros main d’œuvre comprise. On répare, on ne change pas. Sauf quand il n’y a vraiment pas d’autre solution, ça m’est peut-être arrivé deux fois, quand les gens avaient les moyens. C’est l’amour du métier. Ca prend plus de temps, mais le temps, c’est à nous de le trouver pour que les gens ne s’endettent pas. » 10 euros de l’heure (la première heure), 5 euros ensuite… Sans pour autant être un bénévole, Toumany Sané n’est clairement pas âpre au gain.



Ne pas rechigner à la tâche

C’est d’abord un mécano, résolument enthousiaste : « La Commanderie, c’était un quartier de débrouillards ! C’est là que j’ai appris la mécanique ! Tout le monde savait faire ça ! C’est mon dada ! C’est comme dans Les experts, on fait des autopsies, mais sur des voitures ! C’est un bon métier ! Les écoles devraient inciter les gens à faire ce genre de choses…». C’est ensuite qu’il entre en apprentissage. Il finit par faire un Cap mécanique automobile, puis poids lourd. Il est embauché chez Renault trucks. 4 ans. Puis pour travailler sur des tracteurs. Pas son truc. Un autre monde. Il enquille avec 8 ans dans une usine de fabrication de chariots élévateurs, entre réparation et montage, à Montataire (ville voisine). « J’ai eu le temps de toucher à tout ». Notre homme ne rechigne pas à la tâche. Pour finir, pour se lancer, il fait une formation chef d’entreprise dispensée par Bge, puis par la Chambre des métiers.



Les bons conseils de la mairie et de Bge

C’est le nouveau maire, Jean-François Dardenne, qui lui a mis le pied à l’étrier : « A cause de la mécanique en plein air, il y avait toujours des conflits avec la police municipale. Quand je suis allé voir le maire pour lui proposer mon projet, il a tout de suite adhéré. D’autant que l’environnement était en cause. C’est même lui qui m’a présenté à Bge [réseau des Boutiques de gestion, Ndlr]. Le maire voulait rénover le quartier et trouver du travail aux gens. Au début je pensais qu’en association, on pourrait regrouper dans une même structure tous ceux qui faisaient de la mécanique, se mettre en sécurité, acheter du matériel, un cric, des chandelles, arrêter d’utiliser des parpaings pour poser les voitures ! Comme certains chipotaient, j’ai décidé de démarrer seul… Bge m’a conseillé de me mettre en Sarl. »



Repéré par Talent des cités 2014

Et il a eu raison. Le quotidien Le Parisien, toujours à l’affût, se penche sur son cas… pour une dizaine d’articles. France3 Picardie s’y met. Le concours Talents des cités le repère, puis récompense en 2014. « Passer au Sénat, sur Lcp [chaîne partenaire du concours, Ndlr], ça m’a fait une bonne publicité, notamment au niveau des anciens. Ca fait sérieux, on me le dit cash ! » Le bouche à oreilles fonctionne bien. Le bonhomme commence à avoir bonne réputation. On sait qu’il fait « garage solidaire ». C’est-à-dire ? Il a des tarifs préférentiels pour les gens en difficultés qui sont envoyés par un Ccas, une mairie ; il vend des voitures à 1000 euros à des associations ou à Pôle emploi. Il aide à aider à réparer le véhicule de ceux qui sont dans le besoin ; il donne des conseils, même aux garagistes qui passent le voir. « Je voudrais faire une convention avec la région pour pouvoir aider à acquérir une voiture à 1000 euros aux gens en difficultés, en échange d’aides pour racheter des véhicules à réparer. J’achète sur Leboncoin, ou à des particuliers qui veulent changer de véhicule, comme à des concessions. On me connaît. On sait que c’est pas pour faire des gros sous, on m’a même donné une voiture… quand j’arrive dans une casse, on me fait des prix, on me dit : si tu veux quoi que ce soit, sers-toi ! Ils savent que c’est pas pour le profit, mais pour aider. »



bientôt le 1er bilan

Toumany Sané attend pour l’instant le bilan de sa première année d’activité. Il a 29 ans, et se dit le plus heureux des hommes, rien de moins. Il est conscient que le plus dur a été de se lancer, et que maintenant, durer dans le temps ne tient qu’à sa capacité à s’agrandir, raisonnablement : réaménager la cour qui lui sert d’entrepôt, monter des murs, couler une chape de béton, acheter plus de matériel pour gérer l’électronique automobile, de plus en plus complexe. Coût estimé : plus de 70 000 euros… « Il faut convaincre les banques, c’est pas facile, mais c’est normal qu’on ne m’ouvre pas tout de suite la porte, j’ai même pas mon premier bilan ! » Résolument, notre garagiste n’est pas du genre à se plaindre. Tout vient à temps, avec un peu de patience te beaucoup de travail.



Un jour, peut-être, il fera de l’export de pièces vers le Sénégal, où il a passé les dix premières années de sa vie. Pour lui, c’est là que se trouvent les meilleurs mécaniciens du monde, « capables de monter un moteur d’Alpha Roméo sur une Renault moteur ! Rien n’y est impossible » Et ici, à Nogent ? A voir…
 

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