Education populaire made in USA ?

Affiche de la rencontre
Le 21-11-2014
Par Erwan Ruty

Ils étaient largement plus d’une centaine, d’âges et de profils des plus variés à Saint-Denis les 9 et 10 octobre dernier. Le mot magique qui les a drainé ? Empowerment ! Muse D Territoires, la structure organisatrice, accueillait community organisers américains, méthodologie à la fois rigoureuse et cool : plongé 48 heures entre deux cultures, le public s’est montré à la fois studieux et curieux.

 

L’agence de conseil spécialisée dans la formation et la co-construction autour de projets de développement local, accompagnée par l’ambassade des Etats-Unis (la prochaine formation, mai 2015, aura lieu à New York), avait donc réuni leaders associatifs et agents des collectivités, pour travailler sur ce concept qui fait florès : le pouvoir d’agir. Une petite révolution militante à la Bourse du travail de Saint-Denis, haut lieu du syndicalisme et de l’éducation populaire de cette ville communiste.



France et Etats-Unis, même situation ?


Les jeunes intervenants américains provoquent le plus vif intérêt du public, ce vendredi. La séance d’après-midi est consacrée au modèle économique de l’empowerment. On parle bien sûr du crowdfunding. Les community leaders américains évoquent leurs expériences de financement, public et privé. Les problématiques paraissent semblables de part et d’autre de l’Atlantique. Là-bas, dans le public les bilans demandés sont plus précis, les rapports plus complets (avec nombre de personnes touchées, nombre de fois qu’elles ont été visitées…). Mais on juge qu’environ 3% du temps de travail est consacré à la levée de fonds, avec des délais de plus d’un an pour le versement des fonds. Ce qui implique une professionnalisation des équipes. Rien que de très comparable avec la situation hexagonale. Reste que les exemples donnés par les intervenants new-yorkais impressionnent parfois, en matière d’autofinancement notamment : il n’est pas rare que la ville laisse la gestion d’immeubles abandonnés à des associations, avec pour rôle de les réhabiliter et de tirer un revenu de ces réhabilitations. 80 immeubles de Brooklyn auraient ainsi connu un tel processus.



A la française


Rapidement, on note cependant une différence d’état d’esprit entre français et américains. Pour s’en rendre mieux compte, il faut écumer les nombreux ateliers qui bourdonnent comme des ruches. Dans certains groupes, le message est clair : « Nos soutiens ont été divisés par deux, on ça entend toute la journée, dans le milieu associatif, clame un des participants. On nous recommande un tiers de financement privé, un tiers de public et un tiers d’autofinancement. Mais il faut savoir qui finance ! Financer un événement sportif par Mac Do, c’est non ! C’est contradictoire ! On a eu les vacances de certains écoliers financées par Total, ils revenaient avec la casquette Total, la gourde Total… Il faut être vigilant sur nos exigences en matière de financement. Un manuel des bonnes pratiques serait nécessaire ! »



A l’américaine


Laurence Méhaignerie, présidente de Citizen capital et chercheur associé à l’Institut Montaigne (think tank libéral lié à Claude Bébéar, président d’Axa), tour à tour co-animatrice d’atelier et intervenante, est sur une autre longueur d’onde : « En France, on a une grande méfiance vis-à-vis du privé. Mais il faut dire que pour un financeur privé, les indicateurs d’évaluation, c’est ce qui importe. Or il y a toujours une grande difficulté à mettre en place ces indicateurs… Pourtant, le privé va être de plus en plus important en France, dans le financement de l’action des associations, voire de l’action sociale. » Peu à peu, le débat devient plus théorique, si ce n’est philosophique (idéologique, diront certains) : « Faut-il laisser au public la définition de l’intérêt général ? L’intérêt privé des entreprises peut-il participer à l’intérêt général ? Par exemple, il existe dans les pays anglo-saxons des entreprises qui financent des projets de lutte contre la récidive, avec un retour sur investissement fonction de la réussite de ces projets. On appelle ça des social project bonds ». Catherine Puiseux, intervenante et responsable RSE [Responsabilité sociétale de l’entreprise] à TF1 y croit dur comme fer : « Le privé change, il cherche du sens ».



Le match, première mi-temps : l’activité


En aparté, rapidement, Quentin Walcott, co-directeur de Connect NYC, organisme travaillant notamment dans le domaine du (re)logement à New York, nous brosse un portrait de ses conditions de travail, toujours utile dans une logique comparative : 65% de financement public pour son activité, assure Quentin. France-USA = 1-1, sur ce point. Activité : formation, soutien en direction des « citoyens pauvres, de couleur, sans diplôme, surtout des adultes et des jeunes hommes, sur quatre quartiers de la ville, à partir de Brooklyn initialement ». Là, on a des critères précis, presque marketing. France-USA : 1-2, ou 2-1 selon que vous préconisiez un ciblage marketing de votre action ou au contraire une vision plus large, plus « républicaine » dirait-on en France de manière un peu réductrice. « On encadre des jeunes qui étaient parfois dans des gangs, en travaillant chez eux, sur le terrain. Je viens de ce genre de milieu », précise M. Walcott « mais j’avais moins de problèmes. C’est pour ça que je suis devenu leader par la suite. Maintenant, notre travail consiste à organiser ces communautés : la pauvreté provoque la violence, qui à son tour provoque la pauvreté. Il faut parfois organiser le relogement ailleurs pour arrêter ça. » Mais contrairement à la France bien entendu, « on ne s’interdit pas d’avoir parfois une approche liée à la foi, en travaillant avec des imams, des rabbins. On rentre en contact avec les gens par leur biais. C’est un travail de justice sociale, et même autour de la santé parfois. On encadre les gens, comme des tuteurs. » Connect NYC vient ainsi en aide aux sans-papiers, fournit des avocats (pour les femmes battues par exemple), touchant son public à partir des écoles ou des églises. Il fait du community organising, formant des dizaines de leaders, pour beaucoup issus d’Amérique latine.



Le match, seconde mi-temps : le financement


Mais ces dernières années, un quart des financements (publics) a été coupé. France-USA : 1-1 encore ! Douze salariés, un budget de 1,1 million de dollars chez Connect NYC. Là, avantage aux USA si on compare le nombre de salariés rapporté à l’importance des fonds récoltés. Mais avec onze mois pour toucher des fonds, à en croire Quentin Walcott, on reste dans la même fourchette de temps qu’en France. Et notre interlocuteur le reconnaît sobrement : « L’importance de nos fonds dépend de la santé de Wall Street et des actionnaires, même en ce qui concerne les financements locaux ! » Là, c’est plutôt France 1, USA 0. Du moins tant qu’on ne fait pas trop attention à « la dette », côté français. Car, là, la chute des financement publics peut être sûrement plus forte et de plus longue durée. Idem, outre-atlantique, concernant la vie associative : « une réelle compétition existe entre associations, notamment du fait de la professionnalisation ». Du coup, bien entendu, Quentin est « overworked ». Un français d’une association est-il aussi « débordé de travail » ? Là, pas facile de comparer…

De tout ces débats, on laissera la conclusion tranchante à un intervenant new-yorkais : « Le dialogue est très utile, mais New-York n’est pas un modèle, c’est juste New-York ! »

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