Pour se sentir représenté dans sa commune, faut-il se ressembler ?

Affiche de "Osez la diversité" pour les municipales de 2014 à Cognac
Le 15-10-2014
Par Marie Dias Alves / CFPJ

Les trombinoscopes des élus locaux reflètent peu la diversité des villes de la banlieue. Pourtant quelques candidats issus des quartiers défavorisés émergent et font, difficilement, leur trou dans les municipalités. Leur but : représenter la pluriethnicité et remobiliser l’électorat des cités. Cette stratégie sera-t-elle payante ?

 

« Je n’ai pas peur de le dire : qui se ressemble s’assemble. La politique, c’est consanguin. » Mohamed Bentebra, 42 ans, originaire des Courtilles à Asnières-sur-Seine, s’est engagé en politique en 2004. « C’était pour les cantonales, se souvient l’ancien animateur, puis président d’un club de foot. J’étais le premier Arabe des cités à me présenter et, surtout, à remporter autant de suffrages. 5 % pour ma première campagne ! J’étais naïf, novice, mais des gens ont voté pour moi. Je venais de leur milieu, je connaissais leurs problèmes. » Son meilleur atout ? Son prénom, selon lui.

Depuis 2007, les quartiers défavorisés se rendent de nouveau aux urnes, estime Henri Rey, politologue au Cevipof. Ce regain de participation au vote s’explique en partie, selon lui, parce que les personnes issues de la diversité auraient enfin « des représentants de chez eux ».

« Pour être éligible il faut avoir une histoire commune avec les électeurs, affirme Henri Rey. Ou bien avoir été parachuté dans une ville par un parti de gouvernement. Mais si les priorités du représentant en place, et son statut socio-professionnel, diffèrent trop de celles des habitants, alors ça ne fonctionne pas. » La ressemblance suffit-elle pour autant à convaincre les électeurs ?

 

A Asnières-sur-Seine aussi, les quartiers votent à droite

Suite à son succès aux cantonales de 2004, Mohamed Bentebra est débauché par la majorité municipale, UMP. « Certains ont dit que je faisais l’arabe de service et que j’étais manipulé », regrette-t-il. Chargé de mission sur la banlieue, il va de quartier en quartier pour recueillir les doléances des habitants et les exposer lors des conseils municipaux. « Sauf que personne ne se donnait les moyens d’agir, s’insurge le militant. Je me faisais engueuler par les gens pour l’inaction de la mairie. Ils se sont détournés des élus de terrain. »

Sans pour autant se détourner du maire de l’époque, Manuel Aeschlimann. Un temps écarté du pouvoir municipal, après la victoire du PS de 2008, celui-ci remporte de nouveau les municipales en mars dernier. A 70 voix près.

« Ce maire, c’est Balkany bis. Il a choisi sa femme pour adjoint et sa clique pour le reste. Plus népotique, c’est impossible », déplore Marie Sarro, Asnièroise depuis toujours et assesseuse à ses heures. « Les quartiers nord d’Asnières ont voté contre le PS, qui avait pourtant tant fait pour eux ces dernières années. Quelle bêtise !, s’emporte-t-elle. Ils ont choisi Aeschlimann parce qu’il a promis plus de logements et d’emplois. Mais ce mec n’a jamais mis les pieds en ZUS (Zone urbaine sensible). »

Ceux qu’elle accuse d’avoir remis au pouvoir Manuel Aeschlimann, maire UMP, ce sont les 20,6 %* d’habitants situés dans les quartiers nord. Soit un Asnièrois sur cinq. Des enfants d’immigrés pour la très grande majorité.

Ces « populations les plus pauvres » de la ville (selon l’Etat des lieux au regard du développement durable, d’Asnières-sur-Seine) auraient pourtant élu un représentant dissemblable au possible. « Les personnes des banlieues votent toujours pour le candidat qui pèse le plus dans la balance. Celui qui porte un beau costume cravate, lâche Mohamed Bentebra. Et qui leur promet d’arranger leur situation. » 

Après tout, « celui qui s’appelle Mohamed, Zined ou Yasmina fera-t-il vraiment plus pour ceux qui ont le moins ?, interroge Nasser Lajili, 32 ans, d’origine tunisienne. L’enfant d’immigré, né et élevé dans un quartier chaud, ne va pas forcément oeuvrer en faveur des cités. »

 

La diversité dans les institutions en progression

Nasser Lajili a grandi au Luth, à Gennevilliers, dans l’une des deux ZUS qui rassemblent 37% de la population sur 8% du territoire de la commune. Jeune adulte, il a adhéré à plusieurs associations et en a même fondé une. Assez vite, en 2008, il est passé à l’étape supérieure et a intégré la majorité municipale (le Front de Gauche) avec la formation Alternative citoyenne Gennevilliers. Militer, pour lui, c’est stopper les discriminations ethniques et culturelles. Histoire de mettre tout le monde à égalité.

Depuis les deux derniers scrutins municipaux, les institutions politiques s’ouvrent davantage aux militants issus de l’immigration. « Aussi bien à droite qu’à gauche, observe le politologue Henri Rey. Ces jeunes candidats émergent souvent des milieux associatifs. » Leurs préoccupations, elles, se situent bien loin des clivages de la politique nationale. Difficile pour eux, donc, de frayer avec les élus des partis de gouvernement.

Début 2014, Nasser Lajili a quitté ses fonctions de conseiller à la mairie. « Je voulais m’enfuir du système, celui des partis traditionnels. Celui dans lequel la majorité en place te saborde si tu es en désaccord avec elle. Aux cantonales de 2011, j’avais récolté 8,8 % des voix. À partir de ce moment, j’étais devenu un ennemi de la majorité. » Trois ans plus tard, aux dernières municipales, Nasser Lajili a rassemblé 13,5 % des suffrages. Le jeune de banlieue devient incontournable dans l’opposition.

Et la résistance des élites municipales incite d’autant plus ces nouveaux candidats issus de la diversité à s’acharner. Comme Mohamed Bentebra qui, malgré des scores de 2% à 4%, candidate sans étiquette à chaque élection depuis 2004. « Pour les cantonales, les municipales, qu’importe, insiste-t-il. L’essentiel c’est d’être présent, de montrer qu’on est là, de représenter les défavorisés, la cité. »

*Source, INSEE RP 2006, IMG 1

 

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