
Episode 2 : Crowdfunding, un avenir pour des banlieues fauchées par la baisse des subventions ?

Le 06 mars, une soirée « crowdfunding » est organisée à Ivry (94) par Entrepreneur de banlieue, réseau social né en 2013. En période de vaches maigres pour les quartiers, où les plus dynamiques ne croient plus en l’ascension sociale par les associations, y a-t-il un avenir pour les entrepreneurs via le financement participatif ? Episode 2 : éléments de réponse avec Kiss kiss bank bank cette fois.
"On soutient nos projets en fonction des catégories, plus que des origines sociales"
P&C : co-fondateur de KKBB, pouvez-vous nous dire quels types de projets sont financés par l’intermédiaire de votre plateforme ?
Vincent Ricordeau : Les projets sont très largement culturels et artistiques. Ce sont des projets entrepreneuriaux, innovants, socialement ou dans leur manière de produire, par exemple les ceintures mono-boucles, produites en circuit court avec La ruche qui dit oui, et financé surtout par des agriculteurs. Sakina M’sa, c’est de l’innovation dans la mode, socialement aussi, en travaillant à la Goutte d’Or. Idem pour le 4L Trophy : exploration, défis sportifs… 4000 projets ont été produits via KKBB. On rejette les financement de projets trop personnels (études, consommation, permis de conduire…) ainsi que les projets entreprenauriaux pas innovants (réparation de vélos, restauration…). Pour ces projets, il y a Hellomerci, avec pour slogan : « Empruntez à des gens qui vous veulent du bien », quand même sur une logique de prêt… mais sans intérêts. A KKBB, on est un peu plus arty, ils sont plus humanitaires [les 2 structures sont tout de même liées, ndlr]. On finance des projets, pas des structures ni du fonctionnement. Enfin, on touche 50% sur Paris, 50% sur la province. Et 90% de la musique vient de projets issus de banlieue. Le documentaire, c’est Paris. Mais on soutient nos projets en fonction des catégories, plus que des origines sociales. La Banque postale soutient les projets dits « citoyens », Capa est très présent, même sans nous…
"Ce qui importe, c’est notre système de mentors"
P&C : Il y a maintenant plusieurs plateformes de financement participatif. Quelle est votre spécificité ?
VR : Ce qui importe, c’est notre système de mentors : La Banque postale, Mk2, Capa, Samsung aident les projets à se financer, en les conseillant notamment. Là, il y une différence avec les autres. Par ailleurs, on propose beaucoup d’outils, de tableaux de bord qui permettent de suivre le financement de son projet. En plus d’une Appli I-Phone. Il nous arrive aussi de mettre en avant certains projets sur des magazines [comme Snatch, mag à bobos, quand même ! -ndlr]. Enfin, chez nous, on peut donner à partir de un euro.
Les riches sont-ils les plus solidaires ?
P&C : Justement, qui finance ces projets ?
VR : On a remarqué que ce n’était pas forcément les gens les plus aisés qui étaient les plus généreux. On peut même dire que quand le contexte est plus difficile, cela provoque parfois plus de solidarité. Les déceptions viennent même souvent de la part des parties les plus aisées des réseaux… On a eu un projet, dans le cadre de la Nuit blanche, où on nous a dit : « Tous mes amis sont riches et de gauche, je ne comprends pas pourquoi ça n’a pas marché… »
"Ce qu’on fait va te permettre de mieux connaître te communauté"
P&C : Y a-t-il des recettes pour une collecte de fonds réussie ?
VR : Quand l’info est touchante, ça peut impacter largement. Les banlieues, ça intéresse pas mal de gens. Il y a un vrai potentiel de collecte, au contraire des photos de bobos pour une expo dans le troisième arrondissement. Sur les projets proposés par des agriculteurs, c’est 100% de réussite (sur 4 projets, en 2013), notamment dans le réseau proche de leur village… mais souvent avec des gens qu’ils ne connaissaient pas ! Après, il faut que le projet soit bien « marketé » : si le message n’est pas clair ou les contreparties confuses… Il y aussi pas mal de rappeurs, « digital natives », qui cartonnent, même sur des projets individuels. Conseil : voir d’abord quel est l’objet de la collecte, et la cartographie possible de son financement (d’où il peut venir, quelle est sa communauté, quels en sont les leaders et les liens forts…). Ce que tu vends, c’est la collecte, pas le projet… Le don moyen est de 50 euros. C’est à toi de trouver les 10, 20, 100 personnes qui vont donner. Il ne faut surtout pas avoir peur d’aller au bout de ses idées, sans pour autant avoir fait HEC ou Centrale. Ce qu’on fait, c’est comme une première étude de marché, qui va te permettre de mieux connaître te communauté, de savoir ce qui va marcher. En terme de marketing, c’est un système vertueux.
"Si tu ne peux pas te relever d'un échec, tu ne dois pas persévérer dans ce sens."
P&C : Ce mode de financement a aussi des conséquences sur le projet, et sur celui qui le porte…
VR : Oui, si on ne devient pas milliardaire avec le crowdfunding, quand on est sorti de la merde, on prend confiance. C’est encore plus vrai pour les projets pauvres ou populaires. C’est la force des réseaux sociaux : l’aspect promo, participatif est très différent de « faire la manche ». L’outil a changé, sa signification sociale aussi du coup. Au début, on a été très critiqué par le CNC, qui disait qu’on allait soutenir tous les projets pourris qu’ils refusaient de financer ! Maintenant, ils estiment que c’est une force que d’avoir eu d’abord de l’argent avant d’aller à tous les guichets. Et puis, même si le projet de Mme Michu est pourri, si toute sa communauté veut le voir, il aura le mérite d’exister… Ne rien faire, c’est pire que tout. Il vaut mieux tenter et se planter tout de suite. Si tu ne peux pas te relever de cet échec, tu ne dois pas persévérer dans ce sens. A l’opposé, comme on dit, parfois, l’échec c’est la première partie de la réussite ! Connaître un échec permet parfois de mieux connaître les ficelles de la réussite, du moins une partie d’elles.