Mechmache-Bacqué et la « coordination citoyenne » : les banlieues ont-elles enfin leur syndicat ?

Mohamed Mechmache harangue les associations de quartier ce 08 février 2014. Visuel d'après Madani Marzuk (Amis)
Le 18-02-2014
Par Erwan Ruty

Le 08 février dernier, à Paris, plus de cent associations de quartier se réunissaient suite au rapport Mechmache-Bacqué, et au moment où la loi Lamy sur la politique de la ville subissait ses dernières retouches. Objectif : pour la première fois en France, créer une « coordination des quartiers » susceptible de devenir un interlocuteur des pouvoirs publics. Une initiative qui revient de loin.



L’hémicycle du Conseil régional de l’Île-de-France était certes plus âgé et moins métissé que lorsque les mêmes Mohamed Mechmache et Marie-Hélène Bacqué avaient organisé, cet été, la première concertation nationale faisant suite à leur tour de France des associations de quartier. Une rencontre qui était cependant une première depuis près de 20 ans sur ce sujet, on ne boudera donc pas son plaisir. Pourtant, on pouvait avoir des doutes sur leur capacité à faire revenir le gros de ces troupes quelques mois plus tard, tant le projet de loi Lamy semblait avoir accouché d’une souris au regard des très ambitieuses 30 propositions du rapport intitulé « Politique de la ville : ça ne se fera plus sans nous ». Pour l’instant, même si quelques mesures de la loi Lamy vont dans le bon sens, et si on ne peut pas dire que ça se fera encore sans les quartiers, il serait quand même hasardeux de dire que dorénavant ça se fera avec eux.



Loin de baser la politique de la ville sur les citoyens


« On n’est pas satisfaits à 100% mais il y a quand même des avancées » glisse, mi-figue, mi-raisin Marie-Hélène Bacqué à la tribune, en ouverture de la rencontre. « Dans le préambule de la loi on passe de la participation des habitants à la co-construction, sur les contrats de ville ». Dans le même genre de subtilités sémantiques, les traditionnels « conseils de quartier » pourraient se transformer en « conseils citoyens » participant aux instances de pilotage des contrats de ville… si le maire le veut bien ! Mazette ! Pas encore de quoi réveiller les morts… Certes, il est aussi prévu que un sibyllin « l’Etat apporte son concours à leur fonctionnement », ou l’expérimentation de dix obscures « tables de quartier » à la mode québécoise ; ainsi que quelques autres mesurettes du même tonneau. On ne peut pourtant pas dire que ni les rapporteurs, ni même  - et c’est presque plus tragique ! - le ministre, n’ont pas mouillé la chemise sur le sujet. Mais, surtout avant les municipales, il paraissait hasardeux de vouloir empiéter si peu que ce soit sur les prérogatives des maires, même au profit des citoyens. François Lamy, dans une tribune au journal Libération, ce même 12 février, a beau jeu de reconnaître : "Pour s'engager concrètement dans ce nouvel âge de la participation dans les quartiers, il nous faudra vaincre les résistances, les conservatismes et les doutes". Les responsables de la rencontre inter-associative de se plaindre quand même : « On est bien loin de la logique que nous proposions : baser la politique de la ville sur les citoyens ».



Enfin un syndicat des banlieues ?


Reste donc que grâce au providentiel concours d’une « fondation franco-américaine » qui souhaitera rester discrète, à nouveau plus d’une centaine d’acteurs de terrain et de spécialistes de la politique de la ville se sont donné à nouveau rendez-vous pour continuer de travailler les pouvoirs publics au corps. Afin que, peut-être, les décrets d’application soient un peu plus musclés. Et surtout, afin qu’enfin un organe représentatif de la société civile se constitue dans ces quartiers qui en manquent cruellement depuis leur entrée sur la scène politique en 1983. Une sorte de « syndicat des quartiers » ? En tous cas une « plateforme », disposant d’une instance de coordination transitoire (jusqu’à une AG à l’été 2014), disposant d’élus de plusieurs régions de l’hexagone (Marseille – Paca était monté en force, Grenoble et l’Ouest n’étaient pas en reste).



Pour ou contre les élus ?


Durant toute la journée, les débats sont restés nourris (mais polis), en particulier sur la question de la place des élus dans les instances de cette « coordination » provisoire : plusieurs participants fans du community organising à l’américaine et clairement demandeurs de créer un « rapport de forces » avec les institutions, étant vigoureusement opposés à la présence d’élus en leur sein. Si leur opinion n’a pas été suivie, beaucoup ont dû cependant ressentir une douche froide en apprenant 48 heures après cette rencontre que le leader de celle-ci, Mohamed Mechmache… se présentait sur une liste EE-LV aux élections européennes !



Il y a donc encore pas mal de boulot pour structurer ce mouvement, mais on ne peut que se féliciter de voir un embryon de coordination nationale s’essayer enfin à représenter les citoyens des quartiers. C’est tout ce que réclament ces anciens du FSQP de la région lyonnaise, ou ces jeunes responsables associatifs d’Angers : « s’inscrire dans une démarche qui ne soit pas que locale pour devenir un contre-pouvoir ».


 

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