Viens chez moi j'habite à la Paillade

Viens chez moi, j'habite à la Paillade
Le 26-08-2013
Par Erwan Ruty

Ces jours-là, c'était la fête à La Paillade, un des quartiers populaires de Montpellier qui compte plus de 25 000 habitants… On y est passé faire un tour. 48 heures de festivités qui font renaître une cité qui n'est pourtant pas la plus refermée de la ville et, souffrant pourtant de 1001 difficultés, exulte quand on lui en donne la possibilité. Un petit condensé de banlieue française, quoi.
 

Deux cités, la haute et la basse, jouxtent le parc du Mas, où se tient une partie des festivités programmées dans le cadre de la ZAT. Certaines des barres, comme Assas, sont composées à 90% d'immigrés marocains d'un même et unique village marocain et de leurs enfants. Autant dire que l'esprit village (filmé par Laure Pradal dans son récent documentaire, « Le village vertical ») y règne. C'est pourquoi tous les habitants se félicitent de cet « ZAT ». Dans le tram qui relie la cité à la ville, située à l'exact opposé de la ligne, les familles et les jeunes se pressent pour l'événement annuel et itinérant, qui change chaque année de quartier, depuis ses débuts, il y a trois ans... Une bouffée d'air pour le quartier, comme le reconnaissent les élus locaux eux-mêmes, le lendemain dans la Gazette de Montpellier : « La Paillade a aussi besoin d'affection ».

Ambiance bon enfant, enfin

Une programmation résolument éclectique, pas tapageuse, qui fait la part belle à une certaine exigence créative en matière de cultures urbaines (Dgiz, Marko93, Parkour....), ainsi qu'aux artistes locaux, rappeurs des quartiers, gitans des environs et orchestres arabo-andalous. Bref, quelque chose d'osé. Le tout dans une ambiance très bon enfant, volontiers mélangée. Pourtant, le pari n'était pas gagné d'avance : quelques jours plus tôt, à en croire les habitants, une certaine tension régnait. Une équipe de France3 Languedoc-Rousssillon, s'était rendue sur place et comportée de manière particulièrement peu responsable, si bien qu'elle avait été chassée du quartier malgré les mises en garde et précautions de Kaïna TV, implantée dans le quartier depuis des années, et que ladite équipe télévisée avait tenté d'utiliser comme « fixeur ».
La maire elle-même, Hélène Mandroux, accompagnée du Préfet, s'était fait houleusement raccompagner hors du quartier par une flopée de jeunes, en mars dernier, à l'occasion de l'inauguration d'un passage menant des halles à l'artère centrale du quartier (et le Midi Libre d'assurer ainsi dans son édition du 10 mars 2013: « En quelques minutes, toutes les difficultés que connaît le quartier ont ainsi été lâchées, hurlées. Les problèmes de logement dans le secteur des Tritons, le mécontentement des commerçants privés de deux jours de deux jours de marché, celui des artisans du bâtiment tenus à l'écart des marchés publics, la hargne de tous les privés d'emploi... »).

« Marre de rien faire »

Les raisons de la colère ? La Halle de la Paillade, cise au pied de l'arrêt du tram, concurrençant de plus en plus les artisans locaux du coeur de la cité. Qui ne bénéficient ainsi que peu de l'afflux de populations du centre-ville (effet positif pourtant à noter pour l'image du quartier). De même que les entrepreneurs du quartier voyant s'édifier sous leurs yeux, à quelques centaines de mètres de là, un gigantesque chantier «  Pierresvives », sans bénéficier aucunement des emplois induits, ayant perdu tous les appels d'offre pour ce projet qui durait depuis cinq ans... De quoi en agacer plus d'un. La Paillade, c'est ça : beaucoup de difficultés. Mais c'est aussi le sud : une grande humanité malgré tout. Devant le bar le plus achalandé, en contrebas du mail principal de la cité, des grappes de jeunes désoeuvrés s'extraient de l'écran plat où sont diffusés tous les matchs de foot du monde, pour venir se plaindre de ne pas trouver de boulot : trop vieux, pas assez qualifiés ou trop expérimentés, pas assez diplômés, chaque employeur y va de son argument. « On en a marre de ne rien faire... » se lamentent-ils en choeur. Tout juste le responsable associatif local pourra-t-il promettre une sono aux jeunes pour le match du lendemain matin, au petit stade de la Mosson, avec une force de conviction et une chaleur qui désarmeraient les plus hostiles. On finira par s'entendre sur le prêt d'un derbouka, faute de mieux. Pour sûr : plus certainement qu'à la ZAT, la Paillade y sera sur son 31 pour l'événement footbalistique, un derby local contre l'équipe junior de Béziers, en demi-finale.

« Avant, ici, il y avait un bureau du Midi Libre »

Quelques supérettes sont bien encore ouvertes. Mais bien des stores sont baissés de puis des années en pied d'immeuble, bien qu'on soit un samedi de fête. On ne parle pas seulement du commissariat local, malgré les milliers de visiteurs. « Ici, me dit-on, avant, il y avait un bureau du Midi Libre. » Mais c'était en un temps que les moins de vingt ans ne peuvent connaître, puisque le journal régional y organisait régulièrement des animations, des concerts de stars d'alors, comme Annie Cordy... Et on se demande encore pourquoi les quartiers populaires ne lisent plus la presse. Plus de kiosques, plus d'animations... De même, la salle de cinéma est fermée. On y projetait des films d'auteur, qui ne parvenaient pas à drainer les foules. Le théâtre Jean Vilar, lui, y parviendrait mieux (sans doute en raison de son travail avec les écoles).

Zizanie festive

L'après-midi, Kaïna a installé une scène au beau milieu du mail principal, devant ses locaux. Pour la première fois de son existence, elle occupe le terrain, dehors. Attraction principale du quartier. Les gamins se pressent autour de la scène, semant la zizanie au milieu des techniciens et de leur matériel de pointe. Défileront des rappeurs locaux, Tourclan, qui produisent du bon son mais sont peu loquaces quand on leur demande de parler d'eux ; quelques artistes de passage leur succèdent, le défilé de mode de la marque Majestee par un créateur en herbe du quartier, attirant les remarques misogynes de quelques haytists frustrés lorsque les jeunes filles du quartier passeront sur scène. Passe aussi une sommité du slam national, avec son style foutraque et sa tchatche phénoménale, Dgiz. Il harangue, joue de la contrebasse autant qu'il rigole avec le public. Un vrai numéro, très apprécié. Puis sont interviewées ensuite, sur un plateau télé, quelques artistes qui se sont produits sur la ZAT : « Transports exceptionnels » (un homme et une pelleteuse sur des airs de la Callas !), ou « Livret de famille » (accordéon et peinture pour une lecture sous forme de déambullation de rue, d'après « Livret de famille » de Magyd Cherfi, chanteur de Zebda).
 

Servir et surtout échanger

Le soir, face à la scène dressée aux côtés des halles, tout le quartier est réuni en famille, mêlé à la foule du centre-ville. Les mômes s'égaillent, jeunes femmes et daronnes ont sorti leurs plus belles djellabas, c'est un peu le bal du village que tout le village n'attendait plus. Les vendeurs de merguez sont débordés : ils triment comme des damnés depuis le matin, sous le cagnard. Ruptures de stock de viande, puis de frites, puis de pain, comptabilité approximative mais bonne humeur de rigueur, ce qui semble le plus important. On discute beaucoup, on se dispute parfois, le service est moins important que l'échange. A dix heures du soir, pour tenir le coup, on fait tourner les splifs sous le comptoir. On exulte. La présidente de Kaïna, qui les a tous connus minots, est accostée tous les trois mètres. Elle tchatche avec tout le monde, et notamment tous les serveurs du bar à frites. L'un d'eux, entre deux barquettes de frites servies à moitié congelées, est tout sourire. Et pourtant, il pleure à moitié, entre harassement et joie d'être au centre de la vie de la ville ; il se confesse direct, tout a lâché dans l'euphorie du moment : « Ils m'ont mis à l'hôpital psy, ils m'ont donné des médicaments. Moi, j'en voulais pas ! » Je risque un naïf et complaisant : « C'est pas du boulot, mais plutôt que de médicaments, dont tu aurais besoin, non ? » Bien sûr, il répond : « Bien sûr ». On me confiera plus tard : « Avant, il était super engagé, il était partout avec nous. Maintenant, il mendie à Saint-Paul, au centre-ville »...

On quitte les lieux. Avant de parvenir, difficilement pour cause de notoriété des responsables de Kaïna, jusqu'à la voiture. Untel jure qu'il votera pour la présidente de l'association si elle se présente à la mairie un jour. Le collègue de celle-ci rigole sous cape : « Il n'a même pas de carte d'électeur ! » Puis un gitan quarantenaire, visage buriné, bouche édentée garnie d'un énorme joint très très odoriférant, pousse la chanson en nous croisant. Un vrai ténor. « Tous les matins, il pousse la chanson sous le balcon des immeubles. » C'est sûr, on est bien dans le sud.

 

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