« Les institutions ont un rapport anxiogène aux jeunes »

Le 19-03-2013
Par Erwan Ruty

« Aujourd'hui, on ne parle plus entre petits et grands / Les interphones sont cassés / Pour s'appeler on doit se siffler ». Ces quelques lyrics d'un jeune habitant de Grigny, qui a participé au projet « Moi, maire de ma ville » cernent bien le problème : les jeunes sont à rapprocher de leurs aînés. 

 
Un certain nombre rêvent peut-être de rapper, mais la plupart de ceux-là veulent surtout parler, à qui veut bien les entendre... chez les adultes. Ces textes sont issus d'un projet de rap d'éducation populaire, pour ainsi dire, qui a mobilisé pendant des mois toute une cité de l'Essonne, Grigny la Grande-Borne : mettre des jeunes en situation de réfléchir à ce qu'ils feraient s'ils étaient maire de leur ville. Ateliers d'écriture, accompagnement par des « grands » de la cité et d'ailleurs, le tout pour recréer du lien et faire prendre la parole à une jeunesse trop souvent laissée à elle-même.  
L'initiateur de ce projet  : Omar Dawson. Celui-ci n'est pas un ancien. A 34 ans, il arrive à faire le lien entre les générations, celles d'hier, et les plus jeunes d'aujourd'hui.
 
le rectorat, pfiouh ! C'est la Reine d'Angleterre !  Les institutions savent mieux gérer ceux qui crament des voitures
Quel est le constate qui en est à l'origine de votre projet ? 
 
On s'est rendu compte que la jeunesse changeait très rapidement. C'est facile de décrocher et de ne plus la comprendre. Grigny est la ville la plus jeune du 91 (Essonne). En plus, cette jeunesse est de plus en plus délaissée. Il faut comprendre la psychologie des jeunes, et après, il faut des institutions pour cadrer les choses. Le problème est qu'on a d'un côté des gens qui disent « les jeunes ne sont pas responsables », et de l'autre des jeunes qui disent « on ne fait rien pour nous ; si on avait ci et ça... » Les institutions ont un rapport anxiogène aux jeunes, parce qu'elles n'arrivent pas à se mettre à leur place. Quand tu les sollicite à un moment où il n'y a aucun problème, elles ne font rien. Elles font du crisis management, donnent des crédits à la va-vite quand il y a des problèmes. Il n'y a aucun courage politique. Avant, il y avait des érudits qui savaient à la fois écrire et parler aux gens, se prendre la tête avec eux. Maintenant, les instituions ont même peur des mots de cette jeunesse, comme ceux qui sont dans les textes qu'on pouvait écrire ! Certains profs aimeraient faire des choses avec nous, mais si tu veux travailler avec le rectorat, pfiouh ! C'est la Reine d'Angleterre !  Les institutions savent mieux gérer ceux qui crament des voitures : elles envoient les CRS et donnent des budgets politique de la ville pour reconstruire des immeubles ! 
 
On a redonné aux jeunes le pouvoir des mots. T'es obligé d'avoir un avis quand toute ta vie change tout autour de toi
Vous menez des actions d'éducation populaire d'un nouveau genre ? 
 
L'éducation populaire, ça me parle parce que c'est un concept dont m'ont parlé des gens plus âgés, mais il n'y a plus ça aujourd'hui. On le voit dans les Maisons de quartier : on leur propose seulement de jouer au Uno et à Puissance 4 ! Et comme les parents sont largués... D'habitude, on leur propose soit des actions de consommation, soit des activités civiques, chiantes, qui ne les intéressent pas. Il faut trouver la bonne forme : nous, on utilise des activités qui les intéressent, en y mettant du fond. On a redonné aux jeunes le pouvoir des mots. T'es obligé d'avoir un avis quand toute ta vie change tout autour de toi, avec la rénovation urbaine, par exemple. Les institutions veulent la participation citoyenne, mais les projets sont déjà préparés, quand ils arrivent sur le terrain. Quand il y a des moyens, ils sont confiés à des gens qui ne sont pas forcément compétents pour travailler avec les jeunes. 
 
 
Est-ce qu'il n'y a pas quand même un certain fatalisme de la jeunesse ?
 
Si tu leur donnes le pouvoir ne serait-ce que de s'exprimer, les jeunes en sortent, ils vont te suivre de A à Z. Au début, ils vont te faire des textes pour dire « moi, maire de ma ville, il n'y aura plus de police ». Mais quand tu leur dit : « Mais quand tes parents voteront pour les élections, ils demanderont de la police », ça leur parle !
 
Tu as plus d'opportunités, plus de possibilités, mais tu dois toi-même les concrétiser
Quel regard portes-tu sur cette jeunesse ?
 
A mon époque, on avait beaucoup moins de moyens. On avait une voiture pour six, des tatoos, et on allait dans des cabines à carte...! Maintenant, plein de petits ont des Smartphones, il y a une démocratisation de tout ça. A l'école, d'accord, il y a des tableaux numériques, mais les gens sont plus mauvais en orthographe qu'à l'époque où on n'avait que des craies de merde ! Il n'y a plus d'encadrement. Tu as plus d'opportunités, plus de possibilités, mais tu dois toi-même les concrétiser. Les gens ont de plus en plus besoin de réseaux pour réussir, mais la fracture s'aggrave entre ceux qui en ont et les autres...
 
La Grande-Borne, ce n'est pas une ville, c'est une communauté. Il faut donner un sens positif à cette communauté. C'est comme les bandes : si tu arrives à leur donner un sens positif, tu as des boy-scouts
Comment s'est mis en place votre projet ?
 
D'abord, les institutions, la mairie, ne voulaient pas nous recevoir pour en discuter avec nous. Il a fallu qu'on aille avec les caméras de France 4 pour être reçus ! D'abord, pour toucher les habitants, mettre des tracts dans les boîtes aux lettres, ça ne sert à rien. Il n'y a que le bouche à oreille qui fonctionne. La Grande-Borne, ce n'est pas une ville, c'est une communauté. Il faut donner un sens positif à cette communauté. C'est comme les bandes : si tu arrives à leur donner un sens positif, tu as des boy-scouts ! On est ensuite allé voir « les grands », notamment qui sont dans le rap localement : La Comera, LMC, Ekinox... Ca incite « les petits » qui les respectent, à participer, et ça responsabilise « les grands », y compris par rapport au contenu qu'ils donnent à leurs textes. Souvent, ils n'ont pas assez diffusé de valeurs positives. D'ailleurs, dans la seconde opération qu'on fera, il n'y aura que des duos entre petits et grands, pour cette raison. Les jeunes luttent pour avoir 1000 « vus », là, avec France 4, ils ont été vus par 3 ou 400 000 personnes ! Et puis ils ont rencontré des adultes. Deux ont même ensuite remporté des prix pour France télévisions grâce à un projet porté par 1000 visages [une association essonienne de promotion du cinéma dans les quartiers, et des quartiers dans le cinéma]. Ca a pu apporter une certaine rigueur pour ces jeunes. D'ailleurs, la plupart étaient réalistes, ils voulaient juste savoir ce qu'ils valaient, aux yeux de rappeurs comme Kamel l'Ancien, qui a participé au projet. Et être vus dans le quartier ! On a finalement fait voter 2000 jeunes de 15 à 25 ans par Internet ! On ne faisait pas ça pour faire de ces jeunes des stars du rap, mais pour porter un message, raconter le quotidien des gens. C'est d'ailleurs ce qu'ils ont fait dans leurs textes. On veut juste leur apporter un peu de conscience.   
 

 

Participez à la réunion de rédaction ! Abonnez-vous pour recevoir nos éditions, participer aux choix des prochains dossiers, commenter, partager,...