Indigné, engagé, tempéré

Le 25-02-2013
Par Erwan Ruty

Il a 27 ans. Nordine Idir est le nouveau responsable du Mouvement des jeunes communistes, un parti qui n'est plus que l'ombre de lui-même en banlieue, mais attire encore à lui des jeunes idéalistes. Un profil nouveau pour un des plus vieux partis de France : un jeune diplômé d'origine maghrébine, mesuré, et qui a grandi dans un quartier pavillonnaire. On est loin, très loin, de Georges Marchais.

Il y avait chez moi une forme d'indignation quand on nous faisait comprendre qu'on n'était pas à notre place ici. Nos opinions se forgent par notre vécu, ce n'est qu'après, avec les études et les livres, que se structure une pensée.

Quel est votre parcours ? Comment êtes vous entré en politique ?

Je suis né à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), j'ai fait des études de sciences politiques à Saint-Denis (niveau Master), une fac où il y a beaucoup d'étudiants étrangers, et une forte solidarité avec eux. C'est une fac ouverte sur son environnement. C'est là que j'y ai fait mes débuts dans l'engagement. J'ai adhéré en 2006. J'avais 20 ans pendant les émeutes de 2005, et j'habitais dans un quartier pavillonnaire, plutôt calme, de Deuil (95). Il n'y avait pas de transports, c'était parfois tendu. Alors que certains politiques mettaient tout le monde dans le même panier, j'ai ressenti une forme d'identification avec ces jeunes, même si je n'approuvais pas leurs actes ; ils auraient aussi bien pu être des gens que j'avais connu plus jeune... Mais c'est après que j'ai pris ma carte, au moment du CPE. Si le mouvement avait pris cette ampleur, c'est parce que les lycées de Seine-Saint-Denis s'étaient mobilisés. Ce n'étaient pas que des petits blancs favorisés. Mais je n'ai pas connu les structures d'éducation populaire traditionnelles. Mes parents étaient plutôt de gauche... Il y avait chez moi une forme d'indignation quand on nous faisait comprendre qu'on n'était pas à notre place ici : à Deuil, alors que mes parents avaient difficilement économisé pour acheter un pavillon, on ne nous regardait pas comme des pauvres, mais plutôt comme venant d'ailleurs... Nos opinions se forgent par notre vécu, ce n'est qu'après, avec les études et les livres, que se structure une pensée.
 
Comme les conditions de vie se sont dégradées depuis trente ans, c'est normal qu'il y ait de la colère contre les partis. Les gens ont envie qu'on soit utiles pour eux, tout de suite.
 
Comment fait-on du militantisme dans des quartiers qui en ont perdu l'habitude ?
 
Comme les conditions de vie se sont dégradées depuis trente ans, c'est normal qu'il y ait de la colère contre les partis. Les gens ont envie qu'on soit utiles pour eux, tout de suite. C'est pour ça qu'ils s'engagent plutôt dans des associations. Du coup, on le sensibilise par des démarches d'éducation populaire. Des « réunions de crise » en bas d'immeuble, devant les lycées, « à la criée », dans les soirées étudiantes, par du porte-à-porte... Il faut organiser des tournois de foot, s'intéresser aux loisirs, à la culture. On fait des tournois mixtes entre hommes et femmes, ou avec des thèmes (discriminations Palestine...) Les communistes n'ont pas à rougir de ce qu'ils ont fait dans les quartiers, même s'ils ont raté des coches... Au conseil général, ce sont les seuls, avec les apparentés,  à avoir des élus « de la diversité ». On m'a élu sur le fond de ce que je portais, plus que pour ce que je représentais (un jeune issu de l'immigration et des quartiers). Même si je suis aussi un peu une « tête de gondole » pour certains, c'est un truc à prendre en compte ! Mais il ne faut pas s'arrêter à ça, même si ceux qui font la politique dans ce pays sont blancs, cinquantenaires, hétérosexuels et profession libérale ! Ceux qui ont besoin de changement sont peu présents. On parle beaucoup du fait qu'il n'y a pas de « diversité » à la télévision, mais il y a encore moins d'ouvriers [2% dans les débats, pour 14% dans la société ; contre 79% pour les cadres et professions libérales, qui ne représentent que 5% de la population active, ndlr]. Nos pères ont été exploités, comme tous les ouvriers, un peu plus même sans doute... C'est là qu'il faut agir, comme sur la question des femmes. Des gens issus de l'immigration, il y en a aussi à l'UMP, mais on ne porte pas les mêmes valeurs. 
 
Il y a un vrai besoin de rassemblement, de communauté. Nous on fait ça de manière oecuménique
Les partis sont concurrencés par d'autres formes d'engagement, religieux notamment, qui peuvent aussi « faire du social »...
 
Oui, il y eu la Jeunesse ouvrière chrétienne, à une époque. Aujourd'hui, le fondamentalisme religieux est à combattre. On ne porte pas les mêmes conceptions humaines, mais je ne suis pas hostile aux organisations qui font de la solidarité, tant que ça ne provoque pas de repli. Il y a un vrai besoin de rassemblement, de communauté. Nous on fait ça de manière oecuménique, que l'on soit croyant ou non. Ce n'est pas dans la misère que la tolérance progresse. Mais l'impact des religieux n'est pas si important : l'appel au calme des imams pendant les révoltes de 2005 n'a pas été entendu... 
 
 
Quel regard portez-vous sur la jeunesse ?
 
Les jeunes sont vus par les autres générations comme égoïstes, individualistes... mais ce sont les jeunes des quartiers qui ont la plus mauvaise image d'eux-mêmes ! En même temps, tout est fait pour les mettre dans ces mêmes schémas : la publicité, la société de consommation...
 
 
Vous n'avez pas participé à des actions qui ont de l'importance pour les quartiers, comme les Cahiers de doléance d'Ac ! Le feu ou la lutte contre les contrôles au faciès...
 
La vraie question est : quel type de service public de police on veut dans les quartiers et ailleurs ? Quelles missions on donne à la police ? Quelle police on envoie, pour quel traitement de la délinquance ? Valls ne peut pas se comporter comme le gouvernement d'avant, et encore moins faire relaxer les policiers de la Bac nord de Marseille ! Dans les quartiers, il n'y a qu'une police d'intervention : la Bac et les Crs. C'est comme pour la drogue : c'est dans les quartiers qu'on intervient, mais les vrais problèmes ne sont pas dans les quartiers. Tout cela, le récépissé ne le règle pas, même si je regrette que cela ait été annulé. Il faut changer la formation des policiers, qui font qu'un policier antillais va te contrôler de la même manière qu'un autre ; et il faut aussi changer leur recrutement et affectation, et arrêter de penser qu'il est légitime d'être agressif avec les plus faibles.
 
 
Propos recueillis par Erwan Ruty
 
 
 

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