"La vision d'un banlieusard sur la France". La formule résume la ligne d'Argenteuil blog, créé en 2011 par Anouar Boukra. Car à 31 ans, le jeune Français a des choses à dire. D'abord parce qu'il connaît cette banlieue comme sa poche. Il y est né, y a grandi à deux pas de la dalle d'Argenteuil. 

 

Une dalle largement médiatisée après le passage façon cow-boy de Nicolas Sarkozy, en 2005. Alors ministre de l'Intérieur, il avait promis de débarrasser le quartier de "la racaille."  Si la banlieue sonne comme le lieu de la perdition, elle reste une source d'inspiration pour beaucoup, à commencer pour ses habitants, comme Anouar Boukra qui a foi en son quartier. "Avec Argenteuil blog, je tente de faire émerger des figures du terrain. Contrairement à ce que certains avancent, les jeunes des quartiers font des choses !", résume-t-il. Calme mais convaincu, Anouar Boukra veut tourner la page Sarko à Argenteuil. S'il garde en mémoire le passage du premier flic de France au Val d'Argenteuil -"les CRS, dépassés par le contexte, ont défoncé le store de mon domicile- il le clame haut et fort : Argenteuil, ce n'est pas que Sarkozy. C'est aussi Ali Ziri." Le décès de ce sexagénaire, en 2009, après un contrôle de police, n'en finit pas de susciter l'indignation. "C'est l'un des premiers articles que j'ai fait pour Argenteuil blog…" La révolte, c'est un peu le moteur d'Anouar Boukra. Alors, pour dénoncer la réalité des quartiers, le jeune argenteuillais a pris la plume. 

 

L'écriture, une arme de conviction massive ? Anouar Boukra en est convaincu. Il  est en tous cas un fervent adepte des mots, mais suit pourtant un cursus scolaire à l'opposé  de ses premières amours. "J'ai fait un BTS action commerciale, j'ai été recruté par Brandt." Même là, dans  le monde de l'électroménager, l'univers des  médias le rattrape ! "L'un de mes collègues était cousin avec Jeff, un animateur  de la radio Générations que j'écoutais régulièrement." Sa fidélité audio paiera. "Mon collègue me met en relation avec lui, me propose de passer quand je veux." La proposition ne tombera pas dans l'oreille d'un sourd. "Pendant 6 ans, je suis repassé toutes les semaines." Anouar Boukra décrochera même une chronique à ses côtés. "J'annonçais les soirées, les sorties album", résume-t-il. Au Bondy Blog, il s’épaissit le cuir. Entre 2010 et 2011, il abreuve le célèbre blog de ses papiers aux sujets "aux antipodes de ma vie". Titre du premier papier ? "Maman, j'ai tout compris. En fait, t'es une pédette." Quand un jeune garçon comprend que sa mère est homosexuelle… Véritable tremplin, le Bondy Blog lui offre un accès royal vers les médias mainstream. "J'avais rédigé des papiers à mon retour du Canada en 2010 après y avoir passé un an. Aucune rédaction n'a souhaité en publier." Ironie du sort -et par la grâce du Bondy blog- l'un des écrits d'Anouar Boukra sera publié dans les colonnes du Monde magazine à l'occasion des 5 ans du site. Confiant, il décide alors de voler de ses propres ailes. Surtout de créer  son propre blog.  

 

Argenteuil blog, c'est donc la suite logique. Avec 200 visiteurs uniques par jour, le blog dispose d'un noyau de fidèles. "Pour autant, je dois consolider l'audience. J'avais mis mon blog en suspens quelques semaines", confie-t-il, lucide. Mais Anouar Boukra fourmille de sujets à traiter autour de sa ville. "Contrairement à ce que l'on pense, Argenteuil est une ville hétéroclite. On a Les coteaux, zone pavillonnaire, le centre-ville. Il y même des gens qui paient l'ISF !", s'exclame-t-il. Une diversité que le bloggueur tente d'extirper. Argenteuil blog en est, disons-le, à ses balbutiements. S'il s'amuse en "titillant la mairie via les réseaux sociaux", Anouar Boukra installe doucement mais sûrement son blog dans le paysage argenteuillais. "Je veux apporter ma pierre à la façon dont Argenteuil est perçue".  Tel un défricheur, Anouar Boukra s'attelle à mettre en avant les "gens qui n'ont pas accès aux grands médias en termes de visibilité". Comme exemple, il cite Abdellah Boudour, fondateur de Force des mixités, une association de la ville tournée vers l'entraide. "Sans prétention, Argenteuil blog a permis une grosse visibilité à la distribution de fournitures scolaires organisée par Abdellah à la rentrée de septembre", pointe-t-il.

 

Comme bon nombre de bloggueurs, le jeune homme ne vit pas encore de son activité éditoriale. "J'exerce comme taxi en parallèle". Mais son blog, il y tient. Et puis comme il l'explique, "je n'ai pas besoin d'argent pour écrire. Une feuille et un stylo pour coucher quelques idées, un nom de domaine et wordpress !"  Certes. Mais les aides publiques existent pourtant. "Je n'ai pas besoin de budget. Je n'ai pas besoin de taper à la porte de la mairie. Je tiens à ma liberté." Naïf ou réaliste, Anouar Boukra met le doigt sur un sujet ô combien central. "Je remarque qu'en banlieue, dès que l'on a un projet, on se tourne vers la mairie, vers les élus alors qu'ils s'en foutent ! Le problème, c'est qu'une subvention, cela fonctionne comme une perfusion. Je ne veux pas que mon blog serve à cela…" Argenteuil blog tient donc à garder une indépendance éditoriale. A l'inverse, pas question pour Anouar Boukra de transformer son media en "bureau des plaintes."

 

On l'a bien compris, Anouar Boukra tente de trouver l'équilibre entre blog de terrain capable de faire remonter les problématiques des Argenteuillais, tout en interpellant la mairie. "Je ne cherche pas à foutre le bordel. Reste qu'en général, on blogue pour influencer, non ? Même si ce serait prétentieux de ma part d'affirmer que mon travail influe sur les élus d'Argenteuil", juge-t-il. Certains d'entre eux ont tenu à me recevoir comme Georges Mothron, conseiller général du canton d'Argenteuil-nord, battu lors des dernières élections législatives. L'occasion pour Anouar Boukra d'évoquer les sujets importants dont la question de l'endettement de la commune. Concernant l'actuel député-maire, Philippe Doucet, le blogueur attend toujours d'être reçu histoire de parler des questions qui préoccupent les habitants. "Durant la campagne des législatives, il m'a proposé de nous rencontrer. J'attends toujours…" Plutôt que de ruminer cette volte-face, Anouar Boukra poursuit son travail de blogueur en ouvrant le champ des possibles. "C'est pas parce que je suis de banlieue que je vais écrire uniquement sur les quartiers!" Il avoue même "kiffer le journal de 13 heures de Jean-Pierre Pernaud sur TF1". Surprenant. "Il parle de toute la France et c'est cela qui me plaît. Tous les sujets intéressent les quartiers, il faut ouvrir les perspectives. Ne soyons pas dupes, si tu parles que de ton quartier, tu saoules les gens. Alors la parole, je la prends."