
Prendre le pouvoir par les médias ?!

Maison du peuple Guy Môquet, à La Courneuve. Bally Bagayoko, conseiller général de Seine-Saint-Denis en charge des NTIC, inaugurait la 2e édition de l'Université des banlieues et de la communication de Presse & Cité. Avec pour invités, afin de brosser un tableau idéal de l’usage des réseaux sociaux et de la mobilisation dans les quartiers, Pierre Haski, directeur de Rue89, et Maze Jackson, community organizer à Chicago, invité par Presse & Cité, via l’ambassade des Etats-Unis.
Etre plus proche des citoyens
Le maître mot de Bally Bagayoko : le terrain. La connaissance du terrain est une étape essentielle pour mieux parler des quartiers. Que l’on soit élu ou journaliste. Parmi les outils qu’il utilise pour coller au plus près des attentes des habitants, les réseaux sociaux. « Ces canaux permettent de toucher des publics que l’on ne voit pas.» Dans l’auditoire, une question fuse déjà : «Justement, est ce que des jeunes vous ont déjà interpellé à travers Facebook ?» Tout sourire, Bally Bagayoko s’empresse de répondre : « oui, clairement ! ». « Plutôt que de faire des communiqués de presse, je préfère aller à la rencontre des habitants, physiquement mais aussi par Facebook ou Twitter.» A une intervention de la salle pointant la menace du « vase-clos » potentiellement créé par ces réseaux sociaux, l’élu nuance son propos : « Bien sûr que ces outils ne remplacent pas la nécessité d’être sur le terrain. Pour autant, Facebook, Twitter ou encore mon blog m’aident à mieux préciser les attentes de mes concitoyens.»
Comment toucher et mobiliser les citoyens ? C’est justement ce qui intéresse l’auditoire composé en majorité d’associations ou de medias alternatifs. Et pour répondre à la question, Presse et Cité a fait venir un community organizer. Maze Jackson, directeur d’une agence de communication, a volontiers dévoilé les ficelles de son métier.
Le community organizing peut-il prendre en France ?
Volubile et enthousiasme, l’homme a déployé toute son énergie faisant partager sa vision du community organizing. Après avoir représenté le célèbre rappeur Jay-Z pendant une décennie, Maze Jackson explique « avoir fait du community organizing, à ses côtés, sans vraiment le savoir.» Dans la salle, la quarantaine de participants écoute, attentive. Il faut dire que l’entrain du dynamique états-unien stimule. L’homme sait s’y prendre pour capter l’attention. « J’ai besoin de vos feedbacks sur la video que j’ai préparé pour cette atelier », explique-t-il. Support de présentation de son activité, le film retrace la campagne menée par Patt Quinn, gouverneur démocrate de l’Illinois (Etats-Unis) et candidat à sa réélection. Véritable chef d’orchestre, Maze Jackson, en tenue street-wear, rencontre les habitants d’une quartier défavorisé de Chicago où son équipe et lui se sont installés durant un an. « Vous voyez que le quartier en question ressemble à tout point de vue à ce qu’il y a ici autour de nous à La Courneuve », relève-t-il, visiblement surpris. Rires dans la salle. Maze Jackson discourt de son job avec le naturel du passionné. Et le communicant d’expliquer : « A la base, cette video a été tournée pour les réseaux sociaux. Je suis aussi là pour parler de ces outils comme Facebook.» Le réseau créé par Mark Zurckerberg est, l’auditoire l’aura vite compris, le grand dada de Maze Jackson.
« Ecrire sa propre histoire médiatique »
Premier précepte prodigué ? Créer une communauté, ou « identifier les groupes pour mieux répondre aux besoins », glisse-t-il. Basique. «Un candidat de l’opposition proposait de gazer les chiots. Or en Illinois, il y a plus de propriétaires de chien que de parents, lâche-t-il. Avec Patt Quinn, nous avons créée une page Facebook pour protester contre cette idée. Plus de 100 000 personnes ont rejoint la page ! », se réjouit-il. Deuxième précepte ? «A vous de trouver un intérêt commun à défendre à travers les médias sociaux. Si c’est drôle et interactif, tu passes un message.»
Troisième précepte ? Identifier les leaders. « Dans ce quartier, j’y ai passé une année. Les 6 premiers mois, j’observais, j’identifiais les meneurs. C’est un travail lent mais il ne faut pas être pressé. Jalonnez votre parcours de petites victoires avant d’espérer d’emporter l’adhésion collective.» Dans la salle, plusieurs mains sont déjà levées. Maze Jackson est ravi de l’interactivité. « Comment être sûr de la mobilisation des gens ? », demande une responsable associative. « Les médias sociaux sont un outil parmi d’autres de la boite à outil. Vous devez être sûr que les gens vous reconnaissent mais surtout que vous nourrissez des intérêts communs.» Présent dans l’auditoire, le fondateur du collectif des 577 met les pieds dans le plat : « Comment marquer la différence entre communication et manipulation ? Cette palette d’outils de communication ne contribue-t-elle pas à masquer le manque de fond des politiques ? » Question cruciale. « Sur Facebook ou Twitter, si vous n’étayer pas ce que vous avancez, vous serez démasqué. Cela sera assimilé à de la propagande.»
« Revenir au réel grâce au virtuel »
Pierre Haski, co-fondateur du site Rue89, expose à son tour la manière dont il é été conquis par les blogs :
« J’ai découvert le lecteur», confie-t-il, esquissant un sourire presque ému. Jusqu’ici abstraction totale, le lecteur s’immisce dans la relation du journaliste à son papier. «Le lecteur a fait irruption dans le processus de fabrication de l’information : le lien qu’il y avait hier quand deux personnes qui avaient Libé dans le métro, on ne l’a plus. Ou alors peut-être quand elles ont le même téléphone ! »
Ce qui lie notre lectorat, c’est d’abord la critique du système médiatique. «Nous avons sollicité notre entourage pour trouver des fonds en leur précisant que de toute façon, il ne ferait pas d’argent.» La collecte aboutit « nous nous sommes lancés avec 200000 euros entre nos indemnités de départ et les soutiens engrangés.» Rue89 verra le jour au soir du 2e tour de l’élection présidentielle de 2007. Cinq ans plus tard, l’expérimentation s’est transformée en média reconnu (mais sauvé de la faillite par Le Nouvel Obs). « Rue 89, c’est l’info à trois voix-lecteur,journaliste et expert-mais aucun de nos contenus n’est mis en ligne sans la validation d’un journaliste.» A la tête de la communauté Rue89, Pierre Haski l’explique bien. Tout ne s’est pas fait par hasard. Justement, l’un des secrets de cette success story repose sur une maîtrise parfaite de son lectorat et de son identité. « Notre lectorat n’est pas un groupe compact. Les internautes arrivent sur notre site de différentes manières : par habitude (environ 45%), par recommandation (aujourd’hui 40% des lecteurs) et par la serentiquity. » Comprenez : le fait de trouver quelque chose que l’on ne cherche pas. Via les moteurs de recherche en particulier. Mais la recommandation est devenue un facteur énorme : chaque article envoyé se légitime d’abord par les amis qui vous l’envoient.
Une astuce de fabrication de l’information qui confère au site un statut particulier. « Sur Rue89, vous êtes assurés de lire un reportage improbable, sur la culture des petits pois en Argentine, par exemple, juste à côté de quelque chose de plus classique.»
Nadia Henni-Moulaï