
« Faire les choses par et pour nous-mêmes »

Emergence est un mouvement, pas un parti politique. Ceux qui l’animent tiennent à ce mot parce que rien n'est encore tout à fait figé. Et surtout parce que c'est encore difficile d'assumer le terme. Plusieurs de ses membres racontent leur expérience.
En 2008, pour les dernières élections municipales, une petite quinzaine de listes indépendantes fleurissait dans les quartiers franciliens. Certains, comme le Parti des Grignois avec un score plus qu'honorable de 27%, accédaient au 2e tour. Quelques mois plus tard, ils se sont mis à discuter entre eux. Ainsi est né Emergence : 12 000 voix aux élections régionales et 9 candidats aux élections législatives. Rencontre avec Omar Dawson, pilier indéboulonnable du Parti des Gens (ex-Parti des Grignois), Dawari Horsfall et Choukri El Barnoussi (ici : P-Kaer), respectivement candidats dans les 6e et 5e circonscriptions de l'Essonne.
P&C : Quel souvenir gardez-vous de vos premiers pas en politique lors des élections municipales de 2008 ?
Omar Dawson : C'est le moment où j'ai vu la tête des élus se transformer parce qu'ils ont vu des jeunes arriver aux bureaux de vote pour mettre un bulletin dans l'urne.
Ils ont eu plus peur que lorsqu'ils se faisaient brûler leurs voitures !
Je croyais qu'ils allaient vomir.
Dawari Horsfall : Les élus ne flippent que de ça. Je suis candidat, tu es candidat. J'ai la même taille de bulletin de vote que toi
OD :
Dans les années 80, c'était « Fight the power », nous c'est « Take the power ».
Dans les années 80, c'était « Fight the power » (ndlr : titre du groupe de rap américain Public Enemy), nous c'est « Take the power ». On a contribué à populariser ce qui était jusque-là réservé à une élite.
P-Kaer : On n’a rien à perdre. De toute façon, nous ne sommes pas écoutés. Donc, nous nous présentons nous-mêmes. Et on essaie de faire entendre notre parole.
P&C : En quoi consistait la méthode Emergence à l'époque?
P-Kaer : On est entré en politique de façon barbare. Nous avons fait les choses à l'envers : on avait ni idéologie, ni conscience politique. On s'est présenté et ensuite on a appris. Puis on a créé notre mouvement. Cette façon qu'on a eu de faire les choses à l'envers nous a donné une force, là où les autres ont toujours bloqué parce que dans le tract, il y a telle ou telle phrase qui ne convient pas… Chez les gens du Forum Social des Quartiers Populaires, pour les plus anciens d'entre eux, j'ai pu observer une grande méfiance, justifiée par ailleurs. Ils ne savent pas avec qui avancer.
P&C : Vous venez tous du milieu associatif. Se lancer en politique, c'est la suite logique ?
OD : L'associatif, c'est bien mais ça a ses limites et on en a fait le tour. Le dernier échelon qu'il restait à passer, c'était de s'investir directement en politique. Alors que quelques années auparavant, on ne l'aurait pas fait. Au départ les gens étaient beaucoup plus politisés. Ils sont rentrés dans le système et se sont fait avoir. Ensuite, dans les années 90, il y a plein de gens qui se sont dits « Tous pourris, la politique ne nous calcule pas ».
P-Kaer : Dans les années 80, les gens des quartiers ont tenté de rentrer dans les partis traditionnels : au PS, chez les communistes. Notre génération a vu tout ça se faire sous ses yeux. Donc on s'est dit qu'on allait faire les choses par nous-mêmes et pour nous-mêmes.
P&C : Qu'est ce que vous faîtes mieux que les anciens?
P-Kaer : On a réussi à discuter entre différentes villes, à fédérer et à s'entraider. Notre rôle, en tant que mouvement politique, tel qu'on l'a conçu dès le départ et tel qu'on l'est officiellement, c'est de rassembler toutes les initiatives.
DH : Quand il y a eu les Motivé-e-s, il n'y avait pas d'autres listes indépendantes qui se sont montées en parallèle. Ils étaient tous seuls. Nous, c'est ce qui s'est passé en 2008. On ne connaissait pas. On s'est rencontrés lors des émissions de la radio Générations (ndlr : l’émission « Générations citoyens ») et on s'est dit « on a les mêmes programmes, les mêmes visions, les mêmes combats et les mêmes problèmes. Il faut qu'on se fédère. »
P&C : Et comment faire face aux classiques tentatives de récupération, c’est un
un autre enseignement que vous avez tiré de l'expérience des anciens ?
P-Kaer : On est tombé sur plusieurs énergumènes qui nous ont beaucoup sous-estimés…
DH : Bruno Laforestrie, le patron de la radio Générations, nous a proposé un rendez-vous dans ses locaux. Il nous a dit de le laisser faire, parce que nous étions jeunes en politique, selon lui. Nous aurions dû nous en tenir à coller les affiches. Il nous a expliqués qu'il pouvait nous faire gagner ou perdre du fait de ses milliers d'auditeurs.
P-Kaer : Quand on lui a dit : « dans ce cas, pose l'argent sur la table ! », sa glotte a bougé, comme on dit... Il n'a rien fait (rires).
P&C : Vous en êtes à quel stade aujourd'hui ? Vous considérez-vous comme un parti politique ?
P-Kaer : Il faut dire les choses comme elles sont : nous sommes un parti politique dans le sens où nous avons des idées communes, une charte, un nom, des candidats, un logo et un programme. Plus précisément, on est un mouvement politique et un parti politique en devenir. Lorsque l'on a pris conscience de ça, on s'est dit « il y a des gens qui essaient de faire ça depuis vingt – trente ans, et nous on arrive à le faire ». On a donc une grosse responsabilité. Il faut vraiment qu'on aille au bout. Tout ça se fait à petite échelle : nous sommes neuf candidats aux législatives en région parisienne. Mais nous avons des contacts à Clermont-Ferrand, à Rennes, à Toulouse, à Montpellier, à Nîmes.
DH : Il faut prendre le temps. On est speed mais on n'est pas pressés !