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Les étrangers de France au "Génériques"

Presque trois décennies que Génériques s'attache à faire connaître l'histoire de l'immigration en France. Créée en 1987 par des militants associatifs défendant les droits des immigrés, elle est une référence pour les chercheurs. Reste à le faire savoir au grand public...
Mettre en avant les personnes de l'histoire et les mémoires de l'immigration comme dans un générique de film tel est l’objet de cette structure depuis sa création. Elle a été portée par un noyau de militants impliqués dans diverses luttes en faveur des travailleurs et de l'immigration, Il Saïd Bouziri, décédé en 2009, et Driss El Yazami, qui fut jusqu’à une date récente le délégué général de l’association, se sont entièrement consacrées à ce projet.
Bouziri et El Yazami, deux figures de proue
Depuis les années 70, les deux hommes n'ont de cesse de se frotter au sujet à travers le militantisme et le débat d'idées ; à la fois dans la défense des immigrés, mais aussi et plus globalement des droits de l'Homme, notamment à la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme pour Driss El Yazami, avant de prendre la tête du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger, pour ce dernier.
Ils participeront ainsi à la création de deux des premiers journaux dédiés à l'immigration
Le premier Sans Frontières en 1979. Le second Baraka -bénédiction en arabe-, un peu plus tard. C'est l'amorce d'une nouvelle forme de presse entièrement tournée vers l'immigration, aujourd'hui relayée par Génériques. En 1989, deux ans après son lancement, l'association prend des galons. Elle réalise l'exposition France des étrangers/France des libertés. L'événement s'inscrit dans les festivités liées au Bicentenaire de la Révolution française. Le symbole est fort. Le pari : professionnaliser le travail consacré à l'immigration et surtout apporter une dimension scientifique et esthétique, est rapidement relevé.
Génériques, archiviste de l'immigration
Dès les années 90, un partenariat d'envergure est scellé. Les Archives de France et Génériques s'engagent dans l'inventaire de toutes les archives liés aux étrangers hexagonaux. "L'objectif était de recenser tous les catalogues d'archives du territoire, qu'ils soient départementaux ou communaux pour en extraire les documents abordant la présence des étrangers en France", précise Sarah Clément, responsable du pôle Partenariat et déléguée adjointe de Génériques. Une tâche considérable que l’association regroupe sous forme d’une publication de quatre tomes : Le guide des sources d'archives publiques et privées. Dossiers individuels, procès verbaux, affiches, photos, ce catalogue propose de manière les sources émanant de près ou de loin aux étrangers résidant en France, d’origines européenne ou extra-européenne. Un pas dans la mémoire de l'immigration et un outil précieux pour les spécialistes de la question.
Attirer le grand public
Les travaux effectués sont certes destinés aux chercheurs, journalistes ou documentaristes, mais le grand public peut également utiliser cette matière, véritable patrimoine. "Nous avions lancé une campagne destinée aux acteurs de ces questions mais nous sommes disponibles pour guider le citoyen lambda à la recherche d'informations." Pour preuve : la création de
la Cité nationale de l'Histoire de l'immigration, ouverte au grand public, a été impulsée notamment par Génériques
C'est Driss El Yazami, à l'origine d'un rapport co-élaboré avec Rémy Schwartz, maître de requête à la demande de Lionel Jospin, alors premier ministre en 2001, qui proposera l'idée d'une cité de l'immigration, qui ne soit pas seulement un musée.
Une position d’experts
Pas étonnant, dès lors, que l’association Génériques soit toujours représentée au conseil d'administration de la Cité ou qu’elle participe à l'ensemble des groupes de travail. Une présence incontournable malgré les débats houleux qui ont présidé à son ouverture en 2007, au moment de la création du ministère de l’Immigration et de l’identité nationale, provoquant la démission de huit historiens (dont Patrick Weil et Gérard Noiriel), membres de la CNHI... Depuis, Génériques s'est accroché à son statut d'expert, loin de tout positionnement politique.
Une exposition phare : Générations
L'association s'est d'ailleurs taillée de beaux succès avec la CNHI : en 2009,
l'exposition Générations retraçait la présence culturelle maghrébine en France
à partir d'archives collectées par Génériques et présentées à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration à Paris, mais aussi à Lyon (2009) et Caen (2011). Le moyen de susciter l'intérêt des plus jeunes, notamment. "Notre ambition est aussi d’apporter des ressources aux scolaires ou aux réseaux d'éducation populaire pour qu'ils puissent interroger la mémoire de l'immigration en accédant à tous les supports d'archives", renchérit Sarah Clément.
L'immigration, un patrimoine à gérer
"Notre mission de mémoire de l'immigration repose sur cinq axes : repérer, sensibiliser, préserver, inventorier et valoriser", explique Sarah Clément. Avec un enjeu clé au coeur de ce défi en perpétuel accomplissement : la recherche et la sauvegarde des archives de l'immigration, y compris individuelles. Génériques a d'ailleurs développé un réseau à la fois universitaire, associatif et institutionnel, destiné à valoriser le passé des étrangers en France. La revue Migrance, fondée de concert par Saïd Bouziri et Driss El Yazami en 1993, propose d'ailleurs des analyses sur les grandes questions de l'immigration. L'idée étant de diffuser les "histoires de l'immigration", pour reprendre les termes de Sarah Clément. La revue approche le quarantième numéro.
Odysséo : l’ensemble des archives en ligne
En dehors du site Internet propre de l'association, a aussi été mis en ligne le site Odysséo, qui constitue le versant professionnel et scientifique de Génériques. "Odysséo regroupe les bases de données de Génériques, c'est-à-dire l'ensemble des archives, réunies depuis les années 90", poursuit Sarah Clément. Odysséo compile en fait les quatre tomes du guide des sources. "D'où l'importance de ce site, véritable Bible de la mémoire de l'immigration", souffle Sarah Clément.
Odysséo a un atout clé : « l'inter-opérabillité » des données. "En gros, nous sommes sur les mêmes codes que ceux des bibliothèques, un outil précieux pour transférer des données. Grâce à Odysséo, toutes nos données pourront être visibles dans Européana, la bibliothèque numérique lancée par la Commission européenne en 2008", précise Sarah Clément.
Melting post : une sélection d’archives
Accolé à Odysséo, le blog Melting post propose lui une sélection d'archives, affiches, clichés ou tracts accompagnées de textes explicatifs. On peut ainsi y découvrir une photographie de la chanteuse algérienne Warda El Djazaïria, un bulletin d'information datant de 1832 relatif à l'émigration polonaise ou une affiche du MRAP de 1993 protestant contre la loi Pasqua/Méhaignerie jugée comme une atteinte au droit du sol. En sélectionnant un document de la base Odysséo chaque semaine, et en le publiant
sur Melting post, Génériques propose un focus sur une histoire, un personnage, un événement à partir d’une affiche, d’une photo ou d’un document d’archive.
Enfin, Génériques a intégré le programme européen Hope pendant trois ans, autour d'une dizaine de partenaires spécialistes de l'Histoire ouvrière en Europe, Hope vise à élaborer une plateforme informatique pour mettre en ligne tous les catalogues d'archives recensés. Un espoir pour tous ceux qui veulent se souvenir pour avancer ?
Nadia Henni-Moulai