Speed fighting à Belleville

Le 01-03-2012
Par xadmin

Dimanche 26 février 2012, le magazine Afriscope, des médias et associations de quartier, dont le réseau Presse et Cité, organisaient « un speed dating politique » à la Bellevilloise. L’occasion de réunir des candidats à la présidentielle (ou leurs représentants) et des responsables d’associations, journalistes et chroniqueurs labellisés « diversité ». Une rencontre qui ne va certainement pas être décisive pour la prochaine élection présidentielle, mais qui a le mérite de tenter le rapprochement entre acteurs et spectateurs avertis de la politique. 

Une petite plongée dans le Paris décalé, branché, cultivé, beau, populaire et surtout parisien s’impose. A vos masques, c’est parti ! La salle est pleine, l’atmosphère est légère. En attendant l’arrivée des vedettes, des groupes de discussions se forment au bar, dans les couloirs, autour des cendriers. Là, 3 étudiants, entre deux cigarettes roulées se refilent des conseils au sujet des Amap. Plus loin, un jeune tunisien chaudement débarqué donne un cours de géopolitique à une prof de bio qui semble absorbée par le récit. Un petit groupe de quinquas sympas sirotent une bière en commentant les dernières sorties de Mélenchon dans les médias. 

16h20, « comment ça va la belleviloise » ?

La salle se remplit et patiente sagement sur un fond de Dj Premier. Des bises, des « Ah t'es là toi aussi ? » et des « Tu crois qu’Eva Joly va venir ? » se murmurent. Le speaker tente un « Est-ce que vous alleeeeeez bien ? » Personne ne semble vouloir exprimer son humeur du moment mais notre David Pujadas du ghetto ne se débine pas et introduit les participants au débat. Les guest stars : Philippe Poutou et Patrick Lozès, seuls candidats à la présidentielle présents cet après-midi. Camille Bedin, digne représentante de l’UMP est là aussi. Ils seront accompagnés de moult sommités du monde associatif, politique et médiatique... des quartiers. Un nouveau « Comment ça va la Belleviiiiiiilloiiiise ?! » Toujours pas ou peu de réponses. L’ambianceur n’insiste pas avec ce public qui ne semble pas très hip hop, et annonce les règles du speed dating. Elles sont simples : 3 rounds. On tire au sort interviewers, représentants politiques et thématiques. On mélange tout ça sur scène et on observe pour voir si la magie opère.

Entre méritocratie et lutte des classes, tout le monde est à sa place

L’emploi du mot « round » me ramène à la réalité. Serait-ce un combat de coqs, vite fait bien fait, qui aura lieu sur scène ? Ou un remake de l’Ile de la tentation à Belleville ? Finalement ce ne sera ni l’un ni l’autre. Si les interviewers se sont distingués en abordant avec pertinence, des sujets trop peu évoqués au 20h, les représentants politiques se sont contentés de répondre par fiches et postures interposées. On s’attendait à un battle d’impro et on se rend vite compte que les textes ont été appris par cœur. Camille Gaudin place la « méritocratie », Philippe Poutou « la lutte des classes », George Pau-Langevin critique le bilan de la droite… Bref tout le monde était à sa place. Petite déception : le traitement de défaveur accordé à la représentante UMP qui a subi huées et sifflements sans broncher. Presque bravache, elle s’est même levée pour faire face au public et montrer sa détermination, mais en vain. Il ne manquait plus qu’un petit « Je vous demande de vous arrêter » pour donner un petit côté tragédie au spectacle. De temps à autre, une voix s’élève dans l’assistance, comme lors d’une intervention au sujet de l’égalité au travail, pour hurler : « L’homme noir est entré dans l’Histoire, monsieur !!! » Après lequel s’ensuit un long silence étrange. Parfois les speed dating politiques donnent lieu à des instants magiques. Le temps s’arrête et chacun peut entamer une petite remise en question (ou pas). Logiquement, les speed dating sont faits pour provoquer des rencontres : la confrontation fait que deux idées se frôlent, un espoir jaillit et une relation naît (ou pas).

Des monologues, pas de dialogue

Au bar, la relève venue supporter son candidat ne prête aucune attention au débat. Ils attendent le passage de leur « Elu (e) » et discutent à coup de : « Attention aux tropismes / Il faut d’abord déconstruire / Il faut se réapproprier la thématique / HLM / Moi, par exemple je suis de la diversité et j’ai réussi / ANRU / Les esprits sont mal éduqués / PNRU / Sois pas naïf / Tu vois ? » En les observant de près et en coupant le son, on pourrait s’imaginer qu’ils sont vendeurs d’aspirateurs pour vieilles dames*. Pendant qu’au Salon de l'agriculture les VIP de la politique se baladent joyeusement dans le bousin,  à Belleville leurs modestes représentants tentent le jeu de la séduction en participant à un speed dating avec les quartiers populaires. La tâche n’est pas facile. Comment imaginer un engagement durable – au moins cinq ans – avec une personne que l’on connaît à peine, sans prendre le risque de ne devenir que le mauvais coup d’un soir ou, dans le meilleur des cas, une belle histoire de quelques soirs ? Les monologues, même parfaitement alternés, ne font pas office de dialogue. Les candidats présents (ou leurs porte-parole) n’ont pas tenté de séduire avec leurs idéaux, ils ont souvent essayé de convaincre avec un discours établi du type « ça va être dur mais tout ira bien, on va s’aimer, ne t’inquiète pas mais d’abord donne moi ta voix ». Qui plus est, en cantonnant le public à un rôle de spectateur ce dernier a eu l’impression qu’on lui confisquait la sienne. 

18h20, la fête est finie, dernier balayage visuel pour la route : des coupes ethniques. Des couples mixtes. Des écharpes Celio. Des polos chinés. Des trentenaires strict/décontracté. Des jeunes, des vieux. Deux foulards palestiniens et un T-shirt "Free Syria".


Ardaoui Salim


*Citation empruntée à Sidi O : http://www.youtube.com/watch?v=WZG4ExLYL48

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