
Binationaux : Qui vote où ?

En octobre dernier, 70% des 600 000 Tunisiens résidant en France ont participé à la première élection pluraliste et transparente de l’histoire de ce pays. Les deux tiers ont la double nationalité. Une question se pose : en cette année d’élections majeures en France ou dans plusieurs pays d’Afrique, ceux qui ont accompli leur devoir civique vis-à-vis de leur patrie d’origine, en font-ils de même concernant leur patrie de naissance ou d’adoption ?
Depuis un an déjà, dès les premiers jours de la révolution tunisienne, Aïda, 37 ans, médecin radiologue à Paris, n’a cessé d’informer et mobiliser ses concitoyens sur le rendez-vous historique que représentaient les élections tunisiennes d’octobre. Les Tunisiens de France étaient d’autant plus concernés qu’ils devaient désigner les 10 députés chargés de les représenter dans la nouvelle Constituante. « Bien sûr que j’ai voté, et pour la première fois, insiste-t-elle. Justement parce que c’étaient les premières élections transparentes et pluralistes de l’histoire de la Tunisie et que nous attendions cela depuis des années.» D’origine tunisienne, elle est arrivée en France il y a quelques années et a obtenu sa nationalité française il y a près de deux ans. « L’une des raisons qui m’a fait demander la nationalité, c’était précisément le droit de vote.»
Pas très patriote
Un droit que d’autres, nés en France, ne cherchent pas à faire valoir. « Je n'ai jamais voté en France et je l’assume entièrement, lâche Souhail, 31 ans, informaticien. Il n'y a pour moi aucun parti qui me représente ou auquel j'adhère. Je sais, je ne suis pas très patriote mais je m'en fiche, je paye mes impôts et je demande rien à personne ! » D’origine tunisienne, il n’a pas non plus voté pour les récentes élections dans son pays d’origine. « Juste l'idée de faire la queue devant le consulat tunisien resté au temps des goulags soviétiques m'était insupportable. Et je suis encore assez perplexe par rapport à cette révolution et à ces aboutissements. »
« En mai prochain, promis, je vote ! »
Pour d’autres dans son cas, la participation aux élections tunisiennes a éveillé en eux une forme de conscience civique. « Même si je me suis inscrite sur les listes électorales en France, j’avoue que je ne vote pas systématiquement, indique Samira, 33 ans, comptable. Ça me saoule plus qu’autre chose. Par contre, j’ai voté pour les élections tunisiennes. Et pour une fois, j’ai eu le sentiment d’être reconnue comme une vrai tunisienne. Du coup, je l’avoue, ça m’a fait prendre conscience de quelque chose : quand on est attaché à un pays, parce qu’on y vit ou qu’on y a nos racines, on doit participer un minimum à son évolution. Et ça passe par le vote. Alors en mai prochain, promis, je vote ! Même si je ne sais pas encore pour qui… »
Participer au changement
C’est toute la question. Difficile de suivre l’actualité politique d’un pays… encore plus à distance. Darine, 31 ans, travaille dans la communication. Française à tous les titres, elle n’en demeure pas moins attachée à son pays d’origine, l’Algérie. Mais de là à voter, il y a un pas qu’elle n’est pas prête à franchir. « Même si mes origines sont algériennes, et j’en suis fière, je ne me sens pas concernée par la vie politique algérienne. Surtout que le gouvernement algérien c’est vraiment du n’importe quoi. Magouilles, corruptions, trucages… » Tandis que ceux qui aimeraient le faire, n’en n’ont pas toujours la possibilité. Rachid, 40 ans, responsable des ventes, était au Maroc pendant les législatives de novembre. « Les Marocains résidant à l’étranger ne peuvent voter directement pour des questions d'organisation, explique Rachid. Il faut donner une procuration à un proche vivant au Maroc pour voter à notre place. Du coup, je n'ai pas voté car je ne veux pas être un citoyen de seconde zone. Je veux mettre moi même mon vote dans l'urne. Mais j'aurais aimé participer à ce changement que vit le Maroc. D’autant que je vote en France.» Un sentiment partagé par Zineb, 26 ans, fonctionnaire. « Pour ma part, je vote en France, parce que c'est à mon sens plus qu'un droit, c’est un devoir ! Ayant la double nationalité, j'aurais également voulu voter pour les dernières marocaines, de la même manière que les ressortissants français vivant aux USA ou en Chine votent aux élections françaises. »
Un sujet de discorde
Quant aux Subsahariens, s’ils ont pour la plupart la possibilité de voter depuis la France, le manque d’information et de transparence lors des élections les décourage. « Aujourd'hui en France, le vote des étrangers est un véritable sujet de discorde. Le fait que les étrangers n'aient pas le droit de vote montre pour ceux qui ont ce droit combien il est important de s'en servir, juge Assanatou, étudiante de 25 ans d’origine sénégalaise. Mais même si je m’intéresse de près à l’évolution politique du Sénégal, je ne pense pas que je voterai à la présidentielle de février. Je ne sais même pas comment cela se passe pour nous, Sénégalais de la diaspora. Le vrai problème c'est que je ne sais pas pour qui voter.Je refuse que Wade reste au pouvoir mais l'opposition sénégalaise est tellement dispersée que je ne m'y retrouve plus du tout. »
« Je vote seulement aux élections présidentielles »
Autre élection majeure cette année, les législatives en Côte d’Ivoire le 18 décembre. Bénito, 30 ans, ingénieur, passionné de politique, n’a pourtant pas voté. « Je crois que pour voter aux législatives il faut vivre dans le pays car le député qu'on élit a une influence directe sur nos vies. En étant à l'étranger, je préfère voter pour les présidentielles. Dans le même sens, je vote seulement aux élections présidentielles françaises. Selon moi, la politique extérieure et intérieure d'un pays est majoritairement dictée par le président. C’est donc un devoir pour moi d’y participer, car j'aimerais retrouver une partie de mes idées dans les personnes qui nous dirigent.» A ce titre, installé depuis peu au Canada, le jeune homme a présenté une demande de naturalisation, afin de participer à l’évolution de son nouveau pays de résidence, à travers le droit de vote notamment.
Dounia Ben Mohamed