
« Dites à vos potes, qu’on n’est plus leurs potes ! »

Mardi 6 décembre, plusieurs élus et représentants des candidats à la présidentielle étaient réunis au Grand palais pour répondre à l'appel « Nous ne marcherons plus », lancé par Nassurdine Haidari, maire-adjoint PS à Marseille et qui compile cinq propositions en faveur des quartiers populaires. Cinq personnalités politiques et associatives dont Karima Delli, Almamy Kanouté, en ont présenté chacun une.
Une conférence de presse qui tourne rapidement au débat en raison de la présence de nombreux militants associatifs et politiques dans la salle. « Nous ne marcherons plus dans les calculs politiques à court terme qui instrumentalisent la différence, qui installent le désespoir et la déshérence au cœur de nos cités. Nous ne marcherons plus dans ces politiques de la ville annoncées en fanfare, « plan Marshall, plan anti-glandouille…Nous ne marcherons plus pour demander ce qui devrait nous revenir de droit : une égalité réelle garantie par la loi et vérifiée dans les faits», lit Nassurdine Haidari à la tribune. Cet ancien imam, diplômé de l’Institut d’études politiques fait évidemment allusion à la Marche pour l’égalité de 1983, rebaptisée,« marche des beurs ». Partis de Marseille, le 15 octobre, les 32 marcheurs dénonçaient les trop nombreux crimes racistes, les violences policières et demandaient la reconnaissance de leurs droits de citoyens.« Une génération avait décidé de briser le mur du silence et affirmé que l’égalité réelle était la seule voie praticable », explique-il. 28 ans, plus tard, les mêmes revendications sont à l’ordre du jour.Certes, il y a moins de crimes racistes, mais quid de l’accès au logement, aux emplois stables pour ces populations discriminées en raison de leur origine, leur quartier ?
« Des propositions concrètes ou du blabla ? »
« La question des quartiers populaires est délaissée par l’ensemble des partis politiques, car ils pensent que les gens qui y vivent n’iront pas voter », martèle Sihem Souid, auteure du livre à charge Omerta dans la police, venue défendre une des cinq propositions et l’une des premières signataires de l’appel. La jeune fonctionnaire du ministère de l’intérieur propose pour limiter les contrôles policiers abusifs, la remise d’un reçu avec le lieu et l’heure reprenant ainsi une suggestion du Collectif contre le contrôle au faciès. L’ensemble des 5 propositions sont nées de la réflexion de groupe de travail avec des associations ancrées sur le terrain. Ce qui rassurera peut-être les plus sceptiques sur la portée de ce genre d’appel. Autre mesure phare proposée, une meilleure représentation des élus de la « diversité ». Portée par Bolewa Sabourin fondateur du collectif Cités en mouvement, il s’agirait de limiter le nombre de mandats successifs des élus à trois et d’interdire le cumul des mandats, afin de favoriser une réelle émergence d’élus de la « diversité ». Dans la salle, Eros Sana, représentant de la candidate Eva Joly, enfonce le clou : « il faut en finir avec ces barons. Ils se transmettent leurs sièges de génération en génération. ».
« Vous avez volé notre marche ! »
Hanifa Taguelmit ne mâche pas ses mots. Cette ancienne « soutien actif » de la Marche pour l’égalité regrette la récupération politique du PS : « Je m’excuse auprès des jeunes générations, nous ne sommes pas allés au bout. Nous n’étions pas mûrs, nous n’avions pas une vraie réflexion politique. On avait des aspirations, mais pas de moyens. Alors on est rentré chez nous, on a laissé les autres parler pour nous. Nous avons raté un rendez-vous historique, nous n’avons pas terminé le combat. Le PS a volé notre marche! ». Aujourd’hui encore, dans les quartiers, plane cette peur de la récupération politique. « Je ne trahirai pas cette confiance », tempère Nassurdine Haidari. «Je pense qu’il faut faire preuve de transparence. Les gens comme Hanifa sont des garde-fous pour moi. On se place au-dessus des logiques partisanes. C’est une initiative indépendante qui doit faire avancer le débat. Ce n’est pas facile !»
En effet pas facile pour un élu PS d’être porteur d’une initiative indépendante à laquelle l’éclectisme des participants donne cependant un certain crédit. « Une initiative à saluer », reconnaît ainsi Clémentine Autain, une des porte-parole du Front de Gauche. « C’est un appel qui est défendu par une longue liste d’intellectuels. En 2005, les images des émeutes ont fait le tour du monde, nous étions peu nombreux à avoir un autre discours, celui du nécessaire chemin politique. Il y a un mal-être profond, une confiance rompue avec les politiques, ils sont tous mis dans le même sac même s’ils ne portent pas les mêmes revendications. C’est sur cela qu’il faut travailler. Au Front de gauche, nous sommes tranquilles, les cinq propositions sont cohérentes avec notre programme», conclue-t-elle. Pris à parti le représentant du Modem quittera la salle après quelques échanges houleux. On notera l’absence remarquée de l’UMP et du FN.
Nadia Hathroubi-Safsaf