
« Rencard des potes » : des politiques en roue libre

En juin dernier, la Fédération des Maisons des Potes rendait publiques dix propositions « pour faire de l’Egalité une réalité », puis tournait tout cet automne-ci dans une vingtaine de villes pour promouvoir ce projet auprès des associations de quartier de son réseau. Le samedi 03 décembre dernier, appuyée par une grosse centaine de participants, elle soumettait ces propositions à plusieurs représentants des candidats aux présidentielles. Une réussite pour le réseau, mais un résultat mitigé quant à la qualité du dialogue instauré avec lesdits politiques.
« Pourquoi on en est là dans les quartiers ? »
« Tout le monde nous soutient, soutient les propositions de la Fédération des maisons des potes, mais alors pourquoi on en est là dans les quartiers ? » demandait de manière faussement ingénue une jeune fille en fichu. De toute évidence, le public, souvent jeune et métissé, piaffait d’impatience et attendait des réponses un peu moins consensuelles que celles apportées par les porte-parole des candidats aux prochaines échéances. Ceux étaient en effet venus bardés de leurs meilleures intentions. Les meilleurs orateurs ont ainsi été les meilleurs à l’applaudimètre (en particulier Bruno Leroux, pour le PS, évidemment très attendu vu l’espoir d’alternance qu’il véhiculait). A fortiori lorsqu’il promettait que l’aide juridictionnelle serait ré-évaluée, permettant de faciliter l’accès des moins aisés à la Justice… alors que celle-ci s’éloigne des classes populaires à grands pas, notamment depuis qu’un nouveau « droit de timbre » a été instauré pour toute procédure judicaire, rendant plus palpable la réalité d’une Justice censitaire. Droit de timbre qui, tout modique qu’il soit, devrait donc être supprimé ; si le PS remporte les élections, comme de bien entendu… Idem sur la suppression des « emplois fermés » [aux étrangers], un vieux combat mené par la mouvance des Potes depuis plus de dix ans : près de 7 millions d’emplois interdits aux non-français, depuis des décennies (souvent juste avant la Seconde guerre mondiale, dans un mélange de nationalisme et de corporatisme). Là encore, Bruno Leroux prend l’engagement, prudemment quand même, « d’ouvrir cette liste ». Et même, pour ce président de la vénérable fédération d’éducation populaire Léo Lagrange, promesse ressortie à chaque association comme avant chaque élection, celle de généraliser les « conventionnements pluri-annuels ». A bon entendeur salut…
Que dire face à des propositions généreuses ?
D’autres intervenants semblaient venus là en roue libre, pour porter la bonne parole de leur candidat, à l’instar de la représentante de Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière) : « Dans les luttes, le racisme qui pouvait exister auparavant contre le plombier polonais, maghrébin ou les blagues sur les blondes, ont tendance à disparaître ». Aussi faudrait-il lutter toute la journée… La représentante du Front de gauche, celui d’Eva Joly, ou Fadila Méhal pour le Modem, ont certes joué le jeu, parfois même en osant émettre des divergences quant à certaines des très généreuses propositions de la Fédération des maisons des potes : « Nous ne sommes pas pour la titularisation de tous les médiateurs ou professeurs. Il faudrait surtout des redéploiements. » Et d’affirmer, à la suite de bien d’autres, y compris des ministres comme Fadela Amara, avant elle : « Il faudrait que ce soit le droit commun, les ministères régaliens, qui se sentent concernés », pas des institutions spécialistes des quartiers populaires.
Au final, la Fédération aura tout de même démontré sa capacité à faire venir la plupart des grands partis politiques (hormis l’UMP) pour valider sans trop sourciller la plupart de ses propositions. Et du coup à drainer quelques journalistes de grands médias. Ce qui témoigne qu’elle subsiste encore, malgré son âge et ses difficultés sporadiques, dans les radars institutionnels et médiatiques.
Erwan Ruty