
Sensibilisation des jeunes : radios et pouvoirs publics enfin sur la même fréquence ? - Orbeat Mag

Qu’il s’agisse de sexualité, de santé, de sécurité routière ou des nombreuses problématiques relatives à la citoyenneté les radios des "djeuns" sont devenues des espaces de sensibilisation de plus en plus privilégiés, touchant plusieurs milliers de citoyens, là où les structures d'éducation civique ont disparu.
Les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience du potentiel –même s’il demeure impossible à mesurer– que peuvent avoir les radios en matière de sensibilisation des jeunes auditeurs. C’est ainsi qu’en 2008, la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité) a rejoint le rang des 30 millions de skyblogs* que compte la toile. De son côté, le Ministère de la Santé a lancé différentes campagnes nationales contre l'alcool au volant, sur le don d'organes, la prévention du VIH… relayées par les radios jeunes. Ces radios seraient donc devenues l’espace propice à la sensibilisation et à la prévention, en appuyant, en relayant ou en devançant les actions associatives ou qui émanent des pouvoirs publics.
La radio est un espace de définition identitaire. Si les réseaux sociaux ont pris, depuis quelques années, une grande place en la matière, il n’est pas si loin le temps de la fameuse réflexion : « Dis-moi quelle radio tu écoutes, je te dirais qui tu es ». En misant sur le rap et la culture urbaine, les stations emblématiques comme Skyrock et Générations ont su recueillir l’attention de jeunes auditeurs réceptifs, via la musique, mais aussi la parole**. « Le rap, malgré toute sa complexité et parfois même ses paradoxes, a contribué à faire voler en éclat de nombreux tabous, explique Malek Boutih, directeur des relations institutionnelles de Skyrock. C’est parce qu’il y a des tabous, qu’il y a des problèmes. Miser sur le rap était un pari risqué, tout comme miser sur le traitement des tabous. Aujourd’hui, on ne peut pas regretter ce choix, puisqu’il a contribué notamment à l’émergence d’artistes issus de la culture urbaine et des quartiers populaires. Mais il a également contribué, par la suite, à aborder d’autres tabous : les jeunes et la sexualité, les jeunes et la drogue ou encore le rapport entre les jeunes et la politique. La dynamique est la même que celle qui a amené Skyrock à faire le pari du rap: briser les barrières. Et tout ce cheminement a contribué au rapprochement, même s’il reste précaire, entre les décideurs et la jeune génération ».
L’arrivée du FN au second tour de l’élection présidentielle de 2002 marque sans doute le début de ce cheminement. Un électrochoc qui a sans doute ouvert la voie à cette conscientisation générale. « Nous avons pris conscience qu’il fallait faire prendre conscience, explique Bruno Laforestrie, PDG de Générations FM. Du fait de notre visibilité plus réduite, nous sommes peu sollicités par les pouvoirs publics dans le cadre de campagnes ciblées. Ce qui nous incite, et c’est peut-être mieux, à d’avantage nous impliquer dans des démarches et des thématiques citoyennes. Nous préférons insister sur le débat d’idée. Par exemple, pour les dernières municipales nous avions pris le parti de donner la parole aux candidats issus de la diversité… D’autre part, nous recevons et travaillons avec les associations de terrain, car il est évident que nous servons d’amplificateur à leurs actions ». Du côté de Skyrock, l’électrochoc a également gagné les ondes, se traduisant par la mise en place, dès 2003, de la campagne « Bouge Ton vote », qui vise, à chaque échéance électorale, à inciter les jeunes à s’inscrire sur les listes. C’est sans doute à cette époque que les relations entre le CSA et la radio se sont assainies, malgré les échanges parfois crus propres à la libre antenne. «Même si nous sentons bien que nous restons sous pression et que nous serons éternellement sous surveillance, poursuit Malek Boutih. Mais nous continuerons de traiter des tabous, quitte à se faire taper sur les doigts. Il faut éviter, tant que possible, que les jeunes se sentent étouffés. Nous acceptons les emmerdes, car c’est le prix à payer pour garder la confiance des jeunes ». Car Skyrock est tantôt décriée –pour les dérapages fréquents de sa libre antenne– et tantôt utilisée –dans les campagnes de prévention– par les institutions. Ces dernières misent sur le rapport intime qu’entretient la radio avec ces jeunes qu’elles ont, seules, tant de mal à atteindre. Bref, une relation d’attraction-répulsion quasi-schizophrénique, où chaque partie se sert des avantages de l’autre. Grâce aux campagnes de sensibilisation, les radios des "djeuns" semblent avoir trouvé le bon équilibre entre déconnade et crédibilité ou entre le traitement des tabous –certains diront provoc’– et le souci de responsabilité vis-à-vis de la jeune génération. Soit les clefs d’une meilleure "fréquençabilité ". «En terme d’image, c’est bon pour nous, admet Malek Boutih. Skyrock assume sa dimension commerciale tout en ayant conscience des enjeux relatifs à la nouvelle génération et de l’image qu’elle lui renvoie. Les jeunes peuvent ainsi avoir conscience que, grâce à nous, les questions qui les touchent sont, plus que jamais, prises en compte par les responsables politiques et les pouvoirs publics. Aujourd’hui, nous travaillons avec les ministères, les ONG, les associations... Il y a un vrai travail de collaboration. Désormais, pour chaque campagne de sensibilisation, nous sommes en haut de la liste. C’est le fruit de notre travail de réflexion et sans doute de notre positionnement face à la jeunesse, lorsque nous avons fait le pari de miser sur la culture urbaine, leader de tendance et d’opinion ».
Augustin Legrand / Orbeat Mag
*source : Skyrock ** Pour Skyrock: l'émission phare et emblématique: Radio Libre.
Pour Générations: République Tout Terrain et Générations Citoyens.