
Presse des quartiers: la conscience du hip-hop? - Ressources Urbaines

Si le mouvement hip-hop s’est construit sur la philosophie « peace, love unity and havin’ fun », beaucoup ont voulu lui imposer une mission d’engagement et de conscientisation. C’est au travers de la presse spécialisée, souvent issue des quartiers, que cette réalité prend corps.
« Le rap est un thermomètre », explique Sear, fondateur du journal Get Busy. « Il donne l’instantanéité d’une situation et c’est en ça qu’il est dénonciateur. Mais il n’a pas la prétention de donner des solutions. » Get Busy est, à la base, un fanzine créé en 1990, par réaction au traitement médiatique du rap français naissant. Parti de feuilles photocopiées distribuées devant le Bobino, le journal grandit et devient précurseur. En 1996, il s’arrête pour des raisons financières. « C’était le début de la presse rap et l’arrivée du publi-rédactionnel. On ne lutte pas avec les mêmes armes que les gros groupes. On avait un ton chambreur. Eux étaient en décalage social avec le milieu et ne faisaient pas de critiques pertinentes des albums de rap français à cause des enjeux de maison de disque. Mais, tout le monde y trouvait son compte et au final, le rap a eu la presse qu’il méritait », estime Sear. « Je ne pense pas que la presse hip-hop ait accompagné une quelconque génération consciente », renchérit-il.
Quiproquos? « Quand tu montes un média, tu ne peux pas dire que tu fais ça pour représenter ! Les journalistes sont là pour faire des piges, ce ne sont pas des militants. Et c’est légitime », explique Rachid Santaki, fondateur du magazine 5styles, né en 2002 et aujourd’hui en fin de vie pour des raisons de motivation. « Le rap a évolué comme la société. Il y a dix ans, tu ne défendais pas des valeurs, tu ne faisais pas du hip-hop. Mais aucun rappeur ne s’est battu pour être décisionnaire. Etait-ce leur véritable combat ? Eux ont fait de la musique, les gens en ont fait un moyen d’expression. C’est le mythe qui te fait exister » déclare Rachid.
« La presse urbaine n'a pas traduit la culture hip-hop en tant que culture à part entière », tranche radicalement Grégory Protche, journaliste retraité de la presse hip-hop. Pourtant, beaucoup s’en sont inspirés. « Pour ma génération, les magazines hip-hop ont longtemps été les seuls médias qui mettaient en lumière une culture issue des quartiers populaires », explique Raphäl Yem, fondateur de Fumigène, magazine de société paru en 1999 traitant de l'actualité socio- culturelle issue des quartiers populaires. « Je me rappelle d'articles dans Radikal, Get Busy, ou Real, dénonçant le racisme, la violence sociale... C'est dans ces pages qu'on se conscientisait. » De son côté, Orbeat, magazine gratuit dédié aux cultures urbaines, créé en 2006 et mort fin 2009 pour des raisons économiques se voulait l’entre-deux. « On posait un regard musical sur les faits de société. On faisait des choses pointues sur le street art, sur les origines du hip-hop etc. », explique Augustin Legrand, cofondateur d’Orbeat. « Fumigène était ce vers quoi on voulait tendre, mais pas avec les mêmes engagements. L’idée, c’était de faire du vrai journalisme : on ne l’a peut être pas assez fait, mais j’espère qu’on a participé à amener certains vers la lecture, à s’interroger sur ce qu’ils aiment et sur la musique qu’ils écoutent. »
Nadia Sweeny / Ressources Urbaines